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[Bande dessinée] «Gonzo», à la recherche du temps perdu


Malgré un dessin halluciné, des couleurs pétaradantes et une allure pied au plancher, Gonzo avait beaucoup à dire et raconte peu. (Photo : dargaud)

Dans Gonzo, Morgan Navarro poursuit le fantôme de l’écrivain Hunter S. Thompson en lui rendant hommage à sa façon. Un «road trip» halluciné à la trame pourtant en demi-teinte.

L’histoire

Un dessinateur angoissé embarque avec un ami reporter dans un «road trip» aux États-Unis sur les traces de l’écrivain-journaliste Hunter S. Thompson. Ce dernier a en son temps inventé le concept de journalisme gonzo, un journalisme «embarqué» et raconté à la première personne, et écrit un roman chef-d’œuvre : Las Vegas Parano. Il en résulte une aventure déjantée, dans un pays bien loin du rêve américain. Angoisses, fous rires et folie !

Entre février et mars 2023, l’auteur de BD Morgan Navarro sillonne les routes américaines sur les traces de son héros, l’écrivain Hunter S. Thompson, et invite le reporter Jack Souvant, complice à la radio d’Édouard Baer sur Nova puis France Inter, dans l’aventure. L’idée, bien que peu originale, est séduisante : faire résonner la voix du «père du gonzo», journalisme total et ultrasubjectif, dans ce qu’il reste de son Amérique. De Louisville (Kentucky) – où il est né en 1937 – à Los Angeles (Californie), en passant par San Francisco, Las Vegas, Aspen ou Woody Creek (Colorado) – où il s’est suicidé par balle en 2005, les deux Français tentent de retrouver les personnes qui l’ont connu, des plus proches (sa veuve, Anita, l’acteur Johnny Depp…) aux étranges piliers de bar qui ont croisé son chemin, un peu partout au long de la «Sun Belt».

Et voilà les deux complices partis pour une aventure racontée en mode gonzo, non pas à bord de la rutilante Chevrolet conduite par Johnny Depp dans Fear and Loathing in Las Vegas (Terry Gilliam, 1998), adaptation culte du chef-d’œuvre littéraire de Thompson, mais dans une Nissan de location, moche et trop chère. Et si Hunter Thompson, derrière son écriture sous psychotropes, brossait déjà le portrait de l’Amérique des laissés-pour-compte, la bande dessinée de Morgan Navarro permet de dresser un constat amer.

Les hippies d’alors se sont transformés en vieux millionnaires dragueurs, les drogues hallucinogènes sont un souvenir du passé, les sages conseils des chamans sont toujours aussi peu écoutés et Las Vegas reste plus que jamais la ville du vice. Avec le temps, tout a changé, donc rien n’a changé.

Egocentrisme

Voilà de quoi déstabiliser Morgan Navarro, angoissé chronique, qui, s’identifiant un peu trop à Hunter S. Thompson, semble plus aveuglé par la poursuite du gros «trip» sous LSD à Vegas que par le véritable sujet de son roman graphique. De fait, sur 160 pages, il compile le carnet d’un voyage forcément givré, entre errances et situations rocambolesques, rencontres mystiques et crises d’angoisse incontrôlables, flash-back nostalgiques et assommante réalité du temps qui passe. Sans que défile une autre trame de fond que celle du voyage, à la recherche d’un fantôme.

Mais à trop vouloir tisser des liens intimes, et de plus en plus ténus, entre son parcours et celui de Thompson, ce que Morgan Navarro veut faire passer pour du récit «gonzo» se révèle plutôt sous une forme bizarrement assumée d’égocentrisme.

Hunter était devenu une caricature de lui-même (…) et c’est pour ça qu’il a préféré partir

Pour autant, le dessinateur ne manque pas d’idées qui illustrent parfaitement cet univers farfelu, quand il s’imagine avec Jack Souvant, tant en version «cheap» du duo formé par Johnny Depp et Benicio Del Toro dans le film de Terry Gilliam qu’en Astérix et Obélix «teufeurs»; lorsqu’il relate sa première crise de parano aux States, à peine sorti de l’avion; ou lorsqu’il raconte une soirée «de ouf» qui se révèle en fait plutôt naze.

Et il devient vite évident que les nombreuses anecdotes, racontées ou vécues, qui ont fini dans l’ouvrage en cachent des dizaines d’autres cent fois plus passionnantes – la manie de l’auteur étant de couper court aux moments les plus intéressants pour s’épancher dans d’embarrassants instants de non-comédie, tel un monologue à un Amérindien, dont il se sent proche car son nom est Navarro (comme les indiens Navajos) et que son père était pied-noir («black foot» en anglais).

Une allure pied au plancher

Malgré un dessin halluciné, des couleurs pétaradantes et une allure pied au plancher qui amène le lecteur non sans plaisir jusqu’à son dénouement, Gonzo avait beaucoup à dire et raconte peu. À tel point que l’on se demande si Morgan Navarro est simplement passé à côté de son livre ou carrément à côté de son voyage (qui est, on le sait désormais, plus important que la destination).

Plus volontiers «gonzo» est en revanche la création audio de Jack Souvant réalisée pendant ce même «road trip», Gonzo Parano (à écouter sur ARTE Radio), folle mosaïque de sons, d’ambiances, de rencontres et d’élucubrations personnelles et décalées sur les traces de Thompson dans l’Amérique post-Trump. Tout ce que cette BD promettait d’être.

Gonzo. Voyage dans l’Amérique de Las Vegas Parano, de Morgan Navarro. Dargaud.

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