Nouveau venu dans le monde de la BD, Norm Konyu offre une plongée vertigineuse et frissonnante dans les légendes du folklore anglais – et assure avec Downlands que l’on n’a pas fini d’entendre parler de lui.
On peut déjà avancer, trois ans après la publication de son premier roman graphique, que Norm Konyu a tout pour s’imposer comme l’une des nouvelles grandes voix de la BD fantastique. Après The Junction (2022, sa traduction française est attendue pour 2026) et L’Appel à Cthulhu (2023, une réinvention sur le mode comique de la fameuse nouvelle de H. P. Lovecraft), le Canadien installé au Royaume-Uni s’inspire des mythes et légendes du Sussex, région du sud-est de l’Angleterre où il a élu domicile, et livre Downlands, récit sur le deuil, immense dans le fond comme dans la forme, que l’auteur explore en rendant hommage à quelques-uns des contes les plus flippants du folklore anglais ainsi qu’aux modèles littéraires ou cinématographiques qui l’ont inspiré.
Il y a du Lovecraft, oui, mais aussi Henry James, Stephen King, David Lynch, M. Night Shyamalan, Daphné du Maurier (et son meilleur adaptateur à l’écran, un certain Alfred Hitchcock), Arthur Conan Doyle, Ben Wheatley ou encore Tim Burton, jusqu’à évoquer les jeux vidéo Limbo (2010) ou Little Nightmares (2017) et la série Stranger Things. De quoi donner le vertige… et pas mal de frissons.
Vétéran de l’animation passé par DreamWorks, Cartoon Network, Nickelodeon ou la BBC, Norm Konyu ne fait pas les choses à moitié lorsqu’il s’agit de sa reconversion dans la BD. Mais c’est un dessin imprégné de cette première vie que l’on reconnaît sous sa signature, avec des personnages aux traits minimalistes plongés à l’intérieur de compositions graphiques denses et très colorées. Les aplats ressortent comme en relief sur les arrière-fonds imitant parfaitement les effets de pastel, d’aquarelle ou de pochoir : la technique de l’auteur est de jouer en outre avec des couleurs translucides, offrant à ce Downlands une esthétique faussement naïve, mais véritablement immersive. Un graphisme unique, élégant et maîtrisé, qui ne fera sans doute pas l’unanimité chez les puristes du crayon, mais qui soutient avec beaucoup d’effet la lente plongée dans l’horreur du personnage principal, le jeune James Reynolds, et dans l’histoire terrifiante de son village.
Âgé de 14 ans en 1996, James a une sœur jumelle, Jen, qui vient de mourir soudainement. Rupture d’anévrisme, a-t-on dit. Mais dans ses derniers instants, elle a juré qu’un chien noir, qu’elle est la seule à avoir vu, s’est rué sur elle. James entend une histoire similaire lorsqu’un autre membre de la famille décède quelques jours plus tard. L’animal démoniaque figure dans un livre répertoriant les légendes de la région : son apparition serait un présage de mort. Avec l’auteure du livre, une vieille dame qui vit trois maisons plus bas, James apprend à connaître la face cachée du folklore local, avec ses visions hallucinatoires et ses faits divers sordides, des histoires taboues et que l’on veut garder cachées, mais qui semblent prouver que les Downlands sont une région maudite.
Avec beaucoup d’intelligence et un sens aiguisé de la construction narrative, l’auteur fait de la quête d’un adolescent terrassé par la mort de sa jumelle, à la fois intime et historique, entre deuil, espoir et mystères, le fil rouge d’un récit qui se déroule en réalité sur plus d’un siècle. Tout, on le devine assez rapidement, est lié, des fantômes d’enfants rôdant dans la maison au secret qui entoure la disparition d’une famille cent ans plus tôt, et dont personne n’a plus jamais entendu parler, en passant par l’internement d’une femme devenue subitement aveugle et d’autres évènements qui se produisent, de manière identique, à des années d’intervalle.
Mais au-delà du fait remarquable que, sur quelque 300 pages, Norm Konyu s’inspire des riches histoires locales pour créer sa propre fable (sinon une véritable saga) qu’il est difficile, malgré son épaisseur, de ne pas lire d’une traite, on reste tout autant subjugué par la délicatesse de son écriture. De la même manière que la partie graphique se tient à ne montrer aucun signe de violence ni aucune goutte de sang, les ellipses scénaristiques et les non-dits encouragent encore l’imagination du lecteur. Ultime preuve, non seulement du talent de bédéiste de Norm Konyu, mais aussi de sa capacité à cerner, mieux que beaucoup, le genre fantastique, où tout est une affaire d’émotions pures. À commencer par l’épouvante.
Ce n’est qu’une rue dans un village. Et il y a tant à raconter
L’histoire
James Reynolds, 14 ans, habite dans un petit village du sud de l’Angleterre. Après le décès soudain de sa sœur jumelle Jennifer, il demeure hanté par ses dernières paroles : elle aurait aperçu un terrifiant chien noir peu avant de mourir. Dans le folklore local, l’apparition de cette créature est considérée comme un présage funeste. Avec l’aide d’une vieille voisine, que les enfants du village surnomment «la sorcière», James se plonge dans l’histoire locale. Ses investigations le mèneront bien au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer.