Et si Coluche était devenu président de la République après sa campagne de 1981? C’est sur cette base que les frères Erre, Fabrice et Jean-Marcel, tissent de sympathiques histoires où priment l’humour et la caricature. Découverte.
Le 20 octobre 1980, quelques mois avant l’arrivée de la gauche au pouvoir en France, incarnée par François Mitterrand, un trublion se lançait avec fracas dans la campagne présidentielle : Coluche, humoriste qui se moque du pouvoir et ses représentants, porte-voix d’un peuple que l’on n’écoute plus depuis bien longtemps. D’ailleurs, à lui aussi, on vient de couper le sifflet, viré de RMC (Radio Monte-Carlo) après une blague sur la famille princière.
En se lançant dans la politique, il fait donc coup double : il s’élève au-dessus de la censure et s’inscrit, comme sur scène, comme un défenseur de ceux qui ne comptent pas. «Un candidat nul, pour faire voter les non-votants», disait-il à l’époque. Son «coming out» restera d’ailleurs mémorable, avec sa veste queue-de-pie sur salopette, surmontée d’une écharpe tricolore, sans oublier son slogan, provocateur : «Bleu-blanc-merde»…
Mais voilà, la machine médiatique s’emballe, sa cote monte (jusqu’à 15 % des intentions de vote), ses soutiens populaires se multiplient, comme ses opposants, qui le qualifient de «honte pour la démocratie». Bref, Coluche divise tout un pays. Sous pression (il est notamment menacé de mort), l’humoriste lâche finalement l’affaire en mars 1981. Et la rose l’emporte. Un brin nostalgique, et fans avoués de ce pitre au grand cœur, Fabrice (dessin) et Jean-Marcel Erre (scénario) se réapproprient l’histoire et imaginent une autre fin : Coluche est bien élu à la tête de l’État français!
Des élites devant lesquelles Coluche prend la fuite
Sa première mesure : l’instauration d’un apéro général et continu! Le début des ennuis pour lui, qui, cherchant d’abord à se marrer en compagnie de l’équipe d’Hara-Kiri, se retrouve vite empêtré dans les problèmes. Face à lui, en effet, un peuple qui, par essence, aime s’attaquer à ses élites – les grèves et manifestations font alors rage –, et des hommes de pouvoir (politiques ou religieux) qu’il fuit au sens propre comme au figuré. Coluche président! s’amuse donc à le mettre en scène au milieu de ce cirque, dans un humour permanent et gentil. De mesures en mesures, Coluche découvrira ainsi les difficultés de gouverner ce pays si prompt à la critique des dirigeants.
D’abord paru à un rythme régulier chez Fluide glacial, les petites histoires cherchent avant tout la plaisanterie et la caricature, comme en témoignent d’autres travaux similaires et tout aussi réussis de Fabrice Erre – Mars! et Z comme Don Diego (avec Fabcaro), Une année au lycée… Mais au fur et à mesure, tout en ne lâchant jamais son côté amusant (c’est le but!), la BD montre un Coluche qui cherche à être utile et à trouver des solutions.
Des premiers pas à l’Élysée qui en amèneront peut-être d’autres, les deux auteurs ne sachant pas si suite il y aura. Ils auront au moins eu le mérite de rappeler l’histoire de cette étrange campagne de 1981 où un clown a semé le trouble. Malheureusement, d’autres, nettement moins drôles, lui succéderont.
Coluche président!, de Fabrice et Jean-Marcel Erre. Fluide glacial.
«S’il avait gagné, je pense qu’il aurait eu envie de fuir!»
Fabrice Erre, auteur-dessinateur, raconte son Coluche de 1981.
Imaginer Coluche président de la République, était-ce un fantasme?
Fabrice Erre : Au départ, on ne savait pas où cette idée allait nous mener. On se disait que ça serait marrant de voir ce qu’un mec comme Coluche aurait fait à la tête de la France. C’est sûr, il aurait sûrement déconné et picolé avec ses potes d’Hara-Kiri, mais vu ce qu’il a fait après, avec les Restos du cœur notamment, il ne se serait sûrement pas arrêté là. Mais comment aurait-il fait face à cette machine qu’est le pouvoir? C’est une question qui fait sens : depuis, certains humoristes, comme en Italie (NDLR : Beppe Grillo et son Mouvement 5 étoiles), sont montés au-devant de la scène politique.
Que représente Coluche, pour vous?
On fait partie de la génération qui a grandi avec lui! On avait une dizaine d’années, ou presque, en 1981. Bon, c’est vrai, l’élection de François Mitterrand a été un bouleversement. C’était quelque chose d’énorme, qui a pris toute la place. Mais on savait aussi qu’il y avait ce mec bizarre qui avait fait campagne en parallèle. Après, on a découvert ses sketchs, sa personnalité, et son humour qui, comme mon frère, m’a grandement influencé. Ajoutez à cela un amour pour Fluide glacial… On est un peu le mélange des deux!
Dans la BD, vous prenez un malin plaisir à confronter Coluche aux gens dont il se moquait ouvertement (politiques, religieux)…
S’il avait été au bout de cette campagne, il n’aurait pas pu leur échapper. Un humoriste, c’est quelqu’un qui se place toujours à l’extérieur : il regarde le monde avec du recul pour mieux s’en moquer, pointer ses aberrations pour, qui sait, le faire évoluer. Là, en tant que président, il se confronte à la normalité, à la réalité des institutions. C’est d’ailleurs, je pense, le plus gros problème qu’il a rencontré, en vrai, en 1981 : entrer dans cette sphère politique, faite de contraintes et de codes à respecter. Il s’est alors retrouvé en porte-à-faux.
Selon vous, aurait-il fait un bon chef d’État?
(Il rigole) Comme on le présente dans la BD, je pense qu’il aurait eu rapidement envie de fuir. Porter une telle fonction, c’est difficile. C’est dur d’assumer que, dès qu’on lève un petit doigt, ça influe sur tellement de gens. Sans oublier que le monde politique regorge de cynisme, et ne s’embarrasse pas d’états d’âme, ce qui ne colle pas avec la personnalité de Coluche. Et puis, ses amis et les gens qui le connaissaient racontent que c’était quelqu’un de très spontané. Pas sûr, alors, qu’il aurait été à l’aise avec cette nécessité de planification, et bien d’autres choses complexes.
Il semblerait que le Français soit toujours en colère contre ses dirigeants. Cette défiance envers les autorités, vous la mettez aussi en avant dans votre ouvrage…
Oui, dès la deuxième page d’ailleurs (il rit)! Dès le début de la BD, les gens descendent en effet dans la rue, comme dans un réflexe. En France, on aime les gens jusqu’au moment où ils font quelque chose… Rappelons que c’est quand même Jean-Jacques Goldman qui est la personnalité préférée des Français, alors que le mec ne fait plus rien depuis des années!
Les politiques le savent bien : si l’un d’eux veut voir sa cote de popularité monter, il n’a qu’à se taire!
Recueilli par G. C.