Pour raconter l’authentique histoire d’un des premiers réseaux de résistance français, lors de la Seconde Guerre mondiale, un trio d’auteurs imagine une BD historique d’un nouveau genre, sur le fond comme la forme. En un mot : libre.
Qui se souvient du réseau du musée de l’Homme ? Boris Vildé, Anatole Lewitsky ou Yvonne Oddon, ça vous dit quelque chose ? Ils furent pourtant des résistants de la première heure, à Paris. Des anonymes, héros ordinaires oubliés par l’Histoire. Mais de ces destins d’insoumis, il reste des traces dans d’innombrables documents d’époque – mémoires, lettres, témoignages, entretiens, journaux… Les auteurs Raphaël Meltz et Louise Moaty les ont réunis et décortiqués pour raconter l’histoire de ces hommes et femmes, unis dans le combat face à l’oppresseur car la liberté, «c’est le bien le plus précieux».
Au terme d’une rigoureuse enquête (toutes les sources et autres explications détaillées figurent en fin d’ouvrage), Des vivants ravive la mémoire et ramène en juin 1938. Le musée de l’Homme vient de sortir de sortir de terre et son fondateur, Paul Rivet, le voit comme un défi au racisme, car l’«humanité est le produit d’un immense métissage». Une idée chevillée au corps, partagée par son équipe d’ethnologues, d’historiens, de bibliothécaires, et particulièrement vivace quand de l’autre côté de la frontière, en Allemagne, on entend déjà le bruit de bottes…
Même quand, deux ans plus tard, Paris sera occupée, le musée restera ouvert, répondant à l’invasion par le «mépris». Un premier acte de résistance qui va en appeler d’autres. Ses représentants et collaborateurs décident d’entrer dans la clandestinité. Ils seront vite rejoints par des religieuses, une femme de garagiste, un avocat, un colonel à la retraite… Sous l’appellation de Comité national de salut public, le groupe se structure, colle des tracts, crée un journal (Résistance), organise discrètement des évacuations de prisonniers – vers l’Angleterre ou la zone libre… Ce qui n’est pas sans attirer l’attention de la Gestapo et ses valets.
Un hommage vibrant et original
Raphaël Meltz et Louise Moaty auraient pu succomber au geste «facile» du récit historique, genre ultracodifié. Ils trouvent la parade à travers une double orientation, tout en audace. D’abord en cherchant l’intégrité la plus pure : rien n’est en effet inventé et toutes les paroles prononcées par les personnages sont les leurs. Les deux auteurs s’effacent alors derrière ces voix disparues, qu’ils ramènent à la vie grâce à un minutieux travail d’assemblage. Au point de donner à l’ensemble un rythme parfois étrange, foncièrement littéraire, poétique et philosophique.
Ensuite en s’adjoignant les services du dessinateur Simon Roussin (Barthélemy, Xibalba), par qui arrive la fiction. Pas de vue détaillée de Paris avec lui, et encore moins de costume d’époque ! Avec ses traits épurés (tendant vers l’orange, le vert, le mauve) et ses arrière-plans flous, tout en abstraction, son dessin apporte un souffle libre et romanesque. Une reconstitution personnelle qui n’oublie pas l’essentiel : restituer l’atmosphère pesante et angoissante de la guerre, l’attente, l’espoir, les planques, les arrestations, les dénonciations, la prison…
Sélectionné pour le prix de la meilleure BD au prochain festival d’Angoulême (fin janvier 2022), Des vivants est un hommage vibrant et original (une habitude chez 2024!) à tous ceux qui restent debout et résistent, le «cri» de tous ceux qui «ne se résignent pas». L’ouvrage, récompensé par le prix Goscinny fin novembre, suit de près un autre, lui aussi primé à cette occasion : Madeleine, résistante (Dupuis) qui retrace la vie de Madeleine Riffaud, engagée dans la Résistance à 17 ans.
Cette dernière, presque centenaire aujourd’hui, s’est dite heureuse de la distinction, au moins pour «emmerder un peu plus les fachos» qui, plus tôt, ont écrit des slogans nazis sur les murs de son exposition en plein air, aux Buttes-Chaumont (Paris). Oui, à l’heure où les chemises brunes se repassent, indignation et révolte ne sont pas de vains mots. C’est même l’unique moyen, au-delà de tout, de rester vivants.
Grégory Cimatti
Des vivants, de Raphaël Meltz, Louise Moaty et Simon Roussin. 2024.
L’histoire
Été 1940 : la France est occupée. Certains pourtant refusent la fatalité : à Paris, au cœur du musée de l’Homme, quelques ethnologues se réunissent, bientôt rejoints par des gens de tous horizons – avocats, religieuses ou garagistes. Autour de Boris Vildé, d’Anatole Lewitsky, d’Yvonne Oddon, ces visionnaires posent les bases de la lutte qui mènera à la Libération : évasions de prisonniers, passages vers l’Angleterre ou la zone libre, et publication d’un journal clandestin, Résistance. Mais ces insoumis de la première heure seront bientôt trahis, dénoncés à la Gestapo et, pour beaucoup d’entre eux, exécutés.