L’auteur Pascal Rabaté ramène aux racines de Mai-68 avec une histoire d’amour et d’émancipation qui fait voler en éclats la morale bourgeoise de l’époque. Avec une bonne dose de poésie… et d’anarchie!
Caméra au poing ou crayon à la main, Pascal Rabaté a, depuis 30 ans, la même obsession : mettre en lumière les angles morts de l’Histoire, avec une forte appétence pour la poésie et les gens du peu, fidèle qu’il est à son esprit humaniste.
Rien d’étonnant de le voir proposer, le mois prochain, entre les deux tours de l’élection présidentielle en France, un nouveau film au titre qui en dit long : Les Sans-Dents (une expression que l’on doit en 2014 à François Hollande, président de la République, pour qualifier les pauvres).
Le titre de sa dernière BD n’en est pas moins revendicatif : Sous les galets la plage, dans une référence évidente à une célèbre formule de mai 1968.
L’heure n’est pourtant pas encore à braver les forces de l’ordre dans les rues de Paris. On est en effet en 1963, en Bretagne, en plein cœur d’une cité balnéaire qui respire le soleil et l’été, et en compagnie de trois jeunes garçons qui veulent en profiter un maximum après le départ de leurs parents.
Des fils de bonne famille à l’avenir tout tracé et qui, comme le veut la tradition bourgeoise, sauront porter fièrement leur nom et leurs origines dans l’armée, la magistrature ou l’Église!
Orientation libertaire
Mais voilà, alors que se profilent des soirées à vider quelques bonnes bouteilles de vin, ils tombent sur Odette, fleur sans racine, libre et émancipée. Ils voulaient des sensations fortes : ils vont en avoir!
Outre son appellation, l’ouvrage ne cache à aucun moment son orientation libertaire. Au contraire, il l’appuie, la revendique. Dès l’entame, avec une citation connue de Pierre-Joseph Proudhon («La propriété, c’est le vol»). À la fin, avec un symbole anarchiste tracé dans le sable et une quatrième de couverture qui cite le surréaliste André Breton : «En matière de révolte, aucun de nous ne doit avoir besoin d’ancêtres.»
Pascal Rabaté raconte d’ailleurs que la trame de ce livre lui est venue lors d’une balade en automne sur la côte bretonne. Avec, devant lui, un alignement de belles maisons vides qui n’attendaient qu’à être dévalisées…
Le charme d’une jeune cambrioleuse
Dans le récit, pour mieux dresser le portrait d’une époque et de ses fractures, il confronte deux mondes : le vieux qui se fissure et le nouveau, pétillant d’une ardeur de vivre.
Soit d’un côté, le poids des traditions, de l’héritage et des faux-semblants, ceux d’une société conservatrice qui défend et entretient ses avantages. De l’autre, ceux qui n’ont rien (ou pas grand-chose) et qui rééquilibrent la balance en se servant dans ces bâtisses richement pourvues.
Et au milieu, deux âmes amoureuses qui virevoltent, dont Albert, fils de colonel qui, devant le charme d’une jeune cambrioleuse, est prêt à tout remettre en cause…
Ode à la jeunesse
Sous les galets la plage, ode à la jeunesse et à l’émancipation, est gorgée de lumière et de chaleur, mais aussi de liberté qui «comme la marée, n’attend pas!», dit le livre. Pour la célébrer, Pascal Rabaté, comme une habitude, combine poésie et politique, mélangées ici dans un écrin élégant aux traits légers, jouant sur les variations de lumière.
Rappelons enfin que l’auteur est aussi réalisateur, ce qui se voit sur certains cadrages bien sentis. Celui qui a notamment dédié un album à la communarde Louise Michel (2008) ou a évoqué la défaite de l’armée française en juin 1940 (La Déconfiture) continue donc de jeter un pavé dans la mare.
Malgré ses 60 ans, il attend patiemment l’heure de la révolte, et s’il est trop rouillé pour la faire, il appuiera sûrement les élans séditieux avec de nouvelles œuvres toujours frontales et mordantes. On ne se refait pas!
Sous les galets la plage, de Pascal Rabaté. Rue de Sèvres.
L’histoire
Loctudy (Bretagne), septembre 1963. La station balnéaire se vide de ses derniers résidents estivaux. Seuls Albert, Francis et Édouard, futurs étudiants, prolongent leurs vacances en attendant de commencer chacun de brillantes études supérieures devant les mener vers de prestigieuses destinées toutes tracées.
Détachés de l’autorité familiale, ces fils de bonne famille comptent bien profiter de cette liberté pour vider quelques bouteilles et vivre de nouvelles expériences.
Dans ces familles bourgeoises et patriarcales, on ne fréquente pas n’importe qui, on ne déshonore pas sa famille et surtout, on rentre dans le rang quelles que soient les méthodes employées.
Mais la rencontre avec la jeune et décomplexée Odette va bouleverser leur fin d’été… et leur avenir!