Daniel Balthasar, pour répondre à la mise en quarantaine généralisée, a mis sur pied un petit album «maison». Dix jours de création pour dix chansons en mode confiné, réalisées dans un studio de poche improvisé : une boîte en carton.
Une grosse boîte en carton, un ordinateur, un ukulélé, des guitares, des percussions et un miniclavier… Le musicien luxembourgeois Daniel Balthasar a fait son autothérapie en cette période de crise, en enregistrant un album court (25 minutes), garni de dix chansons non polies, composées et enregistrées en dix jours, et mises en ligne gratuitement. Une création nécessaire, accumulation de pensées et de peurs mises en musique sous une forme spontanée. Pour Le Quotidien, celui qui a aussi participé, fin mars, aux Crazy Quarantine Sessions, raconte ce journal intime du confinement.
Dans un texte accompagnant cet album, vous précisez avoir été « préoccupé » durant la toute première semaine de quarantaine. Est-ce le confinement subit qui vous a amené à composer ?
C’est cela. Au départ, j’étais anxieux, d’abord pour ma famille. Comment allait-on vivre la situation ? Qu’est-ce qu’on allait manger ? Des questions évidentes… Mais surtout, j’ai été victime de trois pneumonies ces deux dernières années. Et franchement, ça n’a rien d’amusant ! J’ai fait le tour des docteurs, juste avant le début du confinement, réalisé un IRM, des prises de sang… Ma fille a aussi commencé à faire de la fièvre. Bref, l’inquiétude était totale. Après une semaine, la pression est retombée. Je me suis dit alors qu’il fallait que je fasse quelque chose de créatif, pour m’aérer la tête.
Et cela a pris quelle forme ?
Il y avait cette énorme boîte en carton qui traînait dans notre cave, que ma femme (NDLR : la photographe Véronique Kolber) avait utilisée pour l’une de ses expositions. Elle était tellement grande que je ne l’avais pas encore jetée : elle ne rentrait pas dans ma voiture (il rit). Et vous connaissez les enfants : les miens m’ont donné l’idée de monter dedans, comme ça, pour s’amuser. On l’a alors déplacé dans mon studio et commencé à le décorer : un petit tapis, un morceau de tapisserie, une lampe… De fil en aiguille, c’est devenu un refuge, un endroit coupé du monde.
En somme, vous avez créé une sorte de confinement… dans le confinement. Pourquoi ce besoin ?
Inconsciemment, je voulais jouer avec cette idée d’isolement, que tout le monde connaît aujourd’hui. On est désormais réduit à rester chez soi et à créer avec ce que l’on a sous la main. Quand je suis monté dedans, j’y ai vu le symbole parfait de l’étrange moment que l’on traverse. Et si on arrive à se sentir libre dans une boîte en carton, on peut être libre partout !
Je m’y perdais totalement, nuit et jour, cherchant à combler mes limites
Comment avez-vous procédé alors ?
En famille, il n’est jamais évident d’avoir beaucoup de temps libre. Je me faufilais alors dans ma boîte chaque fois que j’en avais l’occasion, pendant une demi-heure ou même seulement quelques minutes. Le temps que je passais dans ce petit espace ne dépassait jamais deux heures au cours d’une journée. Et je me suis fixé une condition : finir la chanson le jour même où je l’avais commencée avant d’aller me coucher. Je ne voulais pas tricher. Sur cette base est née une première chanson, puis une deuxième, puis une troisième… Rapidement, je me suis dit qu’un album serait envisageable.
Jouer dans un endroit si exigu vous a-t-il procuré des sensations différentes, nouvelles ?
Absolument. Quand je grimpe là-dedans – il me faut un tabouret pour y parvenir, vu que la boîte est très haute – c’est comme disparaître totalement dans un autre univers. On s’y sent seul et, d’une certaine façon, en sécurité. Et rien ne peut vous distraire. Où que vous regardiez, il n’y a rien. Enfin, que des frontières en carton…
D’où le nom de ce minialbum, The Long Lost Art of Getting Lost, une sorte « d’art de se perdre »…
Oui, c’est ce qu’implique ce titre, une forme de disparition, d’oubli de soi. Mais c’est aussi un clin d’œil à mes débuts en tant que musicien, il y a plus de vingt ans. N’étant pas alors trop porté sur la technique d’enregistrement, je passais un temps fou à maîtriser mes outils, à bricoler mes créations. Je m’y perdais totalement, nuit et jour, cherchant à combler mes limites. Plonger dans une petite boîte, c’est pareil : ça implique à se jouer des contraintes, et à composer avec peu de moyens.
Créer d’une telle manière, dans une urgence et à travers un procédé minimaliste, est-ce une première pour vous ?
Non, pas vraiment. Je me rappelle qu’à la naissance de mon fils j’étais contraint de ne pas faire de bruit à la maison. Il m’arrivait alors de prendre mon micro, ma guitare et mon ordinateur, les mettre dans ma voiture et partir enregistrer en forêt (il rit). Et, dans ma carrière, j’ai toujours eu plus de mal à composer quand j’avais du temps devant moi. Le stress est une source d’inspiration. C’est dans la tension que naissent les bonnes idées.
Toute la famille a été impliquée
Cet album, est-ce le journal intime de votre quarantaine ?
Oui, c’est l’idée! Dans ce sens, les chansons ont toutes un angle narratif différent, en fonction des sentiments que j’avais durant ces dix jours de composition : la peur, l’isolement, l’émancipation, les coups de blues, la routine… La dernière chanson, qui renvoie à la première, plus anxiogène, évoque l’espoir que cette situation prendra fin. C’est plus positif! Et la boucle est bouclée.
Vous mettez cet album en téléchargement libre sur votre site, jusqu’à la fin du confinement. Pourquoi ?
D’abord, j’ai fait cet album pour moi, car je voulais donner un sens à ces journées vidées de sens, me convaincre que je vivais encore. Oui, c’était égoïste de le faire, mais parallèlement, j’ai envie de le partager. Si mes chansons peuvent aider d’autres personnes que moi, tant mieux ! Ensuite, faire ce disque ne m’a rien coûté, en dehors de mon temps et du mastering, réalisé aux États-Unis par Darcy Proper, avec laquelle je travaille depuis longtemps. Mais même là, j’ai reçu une aide de la Sacem, et j’attends toujours celle que j’ai demandée au ministère de la Culture (il rit). Si à terme tous les frais sont couverts, je serai content. De toute façon, je ne l’ai pas fait pour gagner de l’argent.
Pour le morceau Anywhere, vous avez même, avec votre famille, concocté un petit clip maison. Une nouvelle démonstration que le DIY (Do It Yourself) a du bon, non ?
Ma femme a dessiné quelque 2 500 images pour réaliser une petite animation – ça lui a pris deux semaines ! –, ma fille a servi de modèle et mon fils était responsable de la lumière (il rit). Toute la famille a été impliquée dans le processus.
Entretien avec Grégory Cimatti
Les titres de ce nouvel album peuvent être écoutés sur le site de l’artiste.