À Djeddah, à environ 60 kilomètres de La Mecque, le festival de musique rap et electro Balad Beast affiche sa volonté d’attirer jeunes et étrangers en Arabie saoudite, où les concerts mixtes n’ont été autorisés qu’en 2019.
Sur une scène installée dans le centre historique de la ville saoudienne de Djeddah, l’un des principaux points de passage des pèlerins musulmans à La Mecque, le rappeur Ty Dolla $ign enflamme une foule de fans en délire. «Où sont les filles sexys?», crie au micro le chanteur américain de 41 ans, de son vrai nom Tyrone William Griffin Jr., se produisant dans le cadre du festival de musique Balad Beast.
La scène peut surprendre en Arabie saoudite, où les concerts mixtes n’ont été autorisés qu’il y a cinq ans et où l’alcool reste strictement interdit. Mais en invitant Ty Dolla $ign, parmi d’autres artistes des scènes rap et electro, à l’image de Wu-Tang Clan ou Major Lazer, le plus vieux quartier de Djeddah, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, affiche sa volonté d’attirer les jeunes Saoudiens et les étrangers.
Classé au patrimoine mondial de l’Unesco
Dans le cadre du programme de réformes du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, qui vise à diversifier l’économie du premier exportateur de pétrole au monde, le centre historique, appelé Al-Balad, doit se doter de 3 000 nouvelles chambres d’hôtels à l’horizon 2030 pour accommoder les touristes. Des cafés, musées, galeries et ateliers ont déjà ouvert leurs portes dans cette zone de 2,5 kilomètres carrés, plus habituée à accueillir les musulmans venus accomplir le pèlerinage annuel dans la ville sainte de la Mecque – située à quelque 60 kilomètres de là – que la jeunesse branchée de Balad Beast.
Djeddah, appelée la «porte de la Mecque», s’est imposée au VIIe siècle comme l’un des ports les plus importants pour les pèlerins et les commerçants de la mer Rouge, avant sa conquête par le fondateur de l’Arabie saoudite, le roi Abdulaziz, dans les années 1920. Face à la croissance rapide de la ville, la muraille entourant le quartier historique a été démolie en 1947. Mais certaines portes sont restées debout, tout comme les maisons-tours en pierre de corail, décorées par des structures en bois sculptées. Le patrimoine architectural et culturel d’Al-Balad lui a valu d’être classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 2014. Un plan de réhabilitation du quartier a été lancé quatre ans plus tard par le ministère saoudien de la Culture, dont certains chantiers de restauration sont toujours en cours.
Si Al-Balad n’avait pas le Balad Beast, (les jeunes) iraient à la plage
Selon Ali Assi Loush, un DJ libanais habitant à Djeddah depuis vingt ans, la multiplication des concerts et des expositions dans la vieille ville a permis d’y attirer une nouvelle clientèle. «Si Al-Balad n’avait pas le Balad Beast et d’autres évènements, aucun membre de la nouvelle génération ne s’y rendrait. Ils iraient à la plage», estime-t-il. «Ils ne s’intéressent pas à ces vieilles boutiques.» Certains riverains, notamment les plus âgés, n’apprécient pas l’évolution du quartier, reconnaît le DJ, mais c’est comme demander à une grand-mère de se séparer d’une de ses vieilles chaises, ajoute-t-il. «Elle ne vous laisserait jamais l’enlever ou la jeter, même si elle est toute cassée.»
Les inquiétudes des habitants de la vieille ville sont en partie alimentées par le débat suscité par un mégaprojet urbain dans une autre partie de Djeddah, où la population a été déplacée. Ce projet, de 20 milliards de dollars, concerne une trentaine de quartiers populaires, présentés par les autorités comme des «bidonvilles», et démolis pour être remplacés par des installations ultramodernes, comprenant notamment un stade et un opéra.
Des constructions anarchiques
Abir Abousouleimane, une guide touristique saoudienne, dit être «très heureuse qu’ils aient disparu». Selon elle, ces constructions étaient anarchiques et ne comprenaient «ni écoles ni jardins ni cliniques». La femme de 58 ans défend les projets de modernisation de la ville, tout comme les festivaliers de Balad Beast, où la fête a duré jusqu’à tard dans la nuit.
«Personnellement, j’aime m’habiller dans un style vintage, c’est la même chose», affirme Abdulrahmane Alhabshi, 20 ans, en admirant les images projetées sur des murs pendant le concert. Adnan Manjal, un DJ né à Djeddah et connu sous le nom d’AZM, est lui aussi conquis. Faire d’un site historique une piste de danse, «c’est tout simplement extraordinaire», dit-il.