Spécialistes du droit du travail ou pénaliste anonyme, ils ne pensaient pas défendre un jour un jihadiste présumé. Jusqu’à ce que, commis d’office dans ce type de dossier, ils se retrouvent propulsés dans le tourbillon médiatique et la machine antiterroriste.
En juin 2014, Apolin Pepiezep, avocat des Hauts-de-Seine loin des projecteurs, se retrouvait cerné par un essaim de journalistes, devant la cour d’appel de Versailles, qui venait d’autoriser la remise à la Belgique de l’auteur présumé de la tuerie du musée juif de Bruxelles. Mehdi Nemmouche, « un dossier comme tout autre », assure-t-il, même si des jours durant, le téléphone de l’avocat sonne sans arrêt. Au bout du fil, « des journalistes du monde entier ».
Dans ces dossiers sensibles, scrutés par médias et autorités, « on n’a pas le droit à l’erreur » et « chaque mot compte », souligne Me Dominique Many, qui fut l’avocat d’un détenu de Guantanamo. « Mieux vaut en dire le moins possible, pour ne pas plomber la défense du client ».
Une ligne de conduite dont n’a pas dévié Me Régis Lepetit, commis d’office de Yassin Sahli, arrêté en juin dernier après l’attaque d’une usine Seveso en Isère. Celui qui travaille dans un cabinet d’affaires s’en est tenu au « secret professionnel »: « Aucune communication » aux journalistes qui trépignaient devant l’hôtel de police où son client a été entendu.
A l’opposé, en août, Me Sophie David, commise d’office à la défense du tireur présumé du Thalys, interpellé à Arras, livrait à la télévision des détails de son entretien avec son client. Sortie médiatique qui lui a valu d’être vertement critiquée par ses pairs : « Nécessaire parfois d’intervenir pour faire entendre la voix de client face à emballement médiatique. Mais entretien de GAV (garde à vue), non ! », avait par exemple tweeté Me Christian Saint-Palais, pénaliste reconnu.
« Un client comme un autre »
Particulièrement exposé à ces thématiques, le barreau des Hauts-de-Seine, qui compte dans son ressort le siège de l’antiterrorisme à Levallois-Perret, s’appuie sur une liste d’avocats expérimentés, volontaires pour les gardes à vue criminelles, terrorisme compris.
« On a la récurrence, on est préparé », fait valoir Me Maxime Cessieux, chargé de coordonner la défense pénale au barreau. Ces pénalistes ont reçu des « formations techniques à ces situations », où entrent en jeu « des personnalités très particulières des deux côtés », suspects comme policiers. Dans les locaux de l’antiterrorisme, « ça interroge jour et nuit : pendant quatre jours, vous êtes isolés, les portables ne passent pas au 4e sous-sol et vous ne pouvez pas gérer votre cabinet, c’est très lourd, extrêmement physique », décrit Me Cessieux.
« Très impressionnant », abonde Me Dominique Many, intervenu dans quatre dossiers de terrorisme. Cet avocat installé à Mâcon se rappelle son premier client « terro », en 2005, au palais de justice de Paris. A 34 ans, dont huit sous la robe noire « mais surtout en droit du travail », il est plongé « dans le grand bain » de la machine antiterroriste, et constate d’emblée une « inégalité des armes »: « Un jeune avocat fraîchement émoulu, ça peut-être du pain béni pour un juge antiterroriste ».
Si Me Petit a fait « le choix » de ne pas poursuivre la défense de son client, qui a décapité son employeur, Me Pepiezep est retourné voir Nemmouche dans sa prison belge. « Un client comme un autre », répète l’avocat. Ce n’est pas l’avis de sa mère : au lendemain des attentats de janvier à Paris, « elle m’a dit qu’elle me renierait si je continuais à défendre des terroristes ».
C’est « la crainte de tout avocat » ayant croisé la route de terroristes présumés, d’être un jour « étiqueté comme avocat de jihadistes » ou d’être assimilé à son client, souligne Me Many. « Si des membres de l’État islamique commencent à me féliciter, là je vais avoir peur ! », plaisante Me Pepiezep. Mais il redevient vite sérieux : il a reçu des mails de menaces pour avoir défendu Nemmouche.
AFP/A.P