Le 77e festival d’Avignon ouvre ce mercredi et compte plus que jamais sur son public, profitant d’un regain d’intérêt pour le théâtre et inaugurant une nouvelle ère.
Signe de son ambition, la 77e édition du festival d’Avignon, la première sous la houlette du directeur Tiago Rodrigues, a ouvert la billetterie dès début avril et non à la mi-juin, pour permettre au public de mieux se préparer. Cet été, les festivaliers vont découvrir de nouveaux visages, des États-Unis à la Grande-Bretagne (l’anglais étant langue invitée, une nouveauté) mais aussi redécouvrir un lieu emblématique du festival, la Carrière de Boulbon, inaugurée par le Mahabharata de Peter Brook en 1985. À une quinzaine de kilomètres d’Avignon, elle était fermée depuis sept ans. Cette année, elle accueillera Le Jardin des délices, de Philippe Quesne, et devient, en termes de jauge, la deuxième scène du festival (1 200 places) après la Cour d’honneur du Palais des papes (1 947 places).
La Cour sera ouverte cette année par Julie Deliquet, qui devient la deuxième metteuse en scène dans l’histoire du festival après Ariane Mnouchkine à être ainsi distinguée. Elle présentera une adaptation de Welfare, documentaire de Frederick Wiseman sur un centre d’aide sociale. «C’est fou, ça paraît tellement archaïque», affirme la metteuse en scène. «Il faut que ça devienne une évidence et que ça ne soit absolument plus un sujet (…) Mon genre ne détermine pas l’artiste que je suis, mais il n’est pas très dominant. Donc, évidemment, c’est un symbole aujourd’hui, pour que ça ne le soit plus demain», ajoute-t-elle.
Fort appétit pour le théâtre
Autre défi de remplissage : une des pièces les plus attendues de cette édition, Les Émigrants, du Polonais Krystian Lupa, a été annulée il y a mois par la Comédie de Genève, où devait se tenir la première, en raison d’une confrontation entre le metteur en scène et l’équipe technique. Déprogrammée également par Avignon, elle a été remplacée par une pièce du patron du festival lui-même, Dans la mesure de l’impossible, au vu «des contraints calendaires, financières et logistiques».
Fondé en 1947 par Jean Vilar, le plus célèbre festival de théâtre au monde (avec celui d’Édimbourg), transforme chaque juillet la Cité des papes en une ville-théâtre. Il se tient en même temps que le festival «Off», le plus grand marché de spectacle vivant en France, les deux générant plusieurs dizaines de millions d’euros en retombées économiques. Même si le comportement des festivaliers n’est pas comparable à celui du public des salles permanentes, une récente étude montre que l’appétit pour le théâtre reste fort, malgré une baisse de fréquentation : en France, 73 % des personnes interrogées ont déclaré être allées au théâtre «autant ou plus souvent qu’avant» (avec une moyenne de 5,4 spectacles vus).
Nouvelles têtes, nouvelles idées
Alors, Avignon en profite aussi pour chercher de nouvelles têtes à présenter à son public : sur la quarantaine de spectacles proposés dans le «In», les trois quarts sont portés par de nouveaux noms. Dont Julie Deliquet, ou la chorégraphe de danse hip-hop Bintou Dembélé, qui inaugurera à sa façon l’Opéra Grand Avignon avec la déambulation-performance G.R.O.O.V.E.. Tiago Rodrigues a précisé que 55 % des spectacles du «In» sont portés ou coportés par des femmes, une première. C’est le nouveau directeur, encore, qui a lancé l’idée des langues invitées; les nombreux artistes britanniques présents dans la Cité des papes pourraient utiliser le festival comme plateforme pour sensibiliser à la baisse du financement culturel qui touche durement les théâtres, opéras et orchestres du Royaume-Uni.
Enfin, Tiago Rodrigues lance l’initiative «Première fois», qui a pour objectif d’inciter la nouvelle génération à se rendre au festival, notamment ceux «qui se sentent intimidés». Ainsi, 5 000 jeunes participeront à l’édition 2023. L’année dernière, 15 % du public était venu pour la première fois, dont un tiers de moins de 30 ans. Selon une étude, 67 % des spectateurs, tous âges confondus, estiment que «la sortie au théâtre coûte trop cher». Mais le bouche-à-oreille reste «le meilleur levier de prescription», une pratique qui s’avère très efficace dans le «Off».
Le Luxembourg à Avignon
Pour sa 77e édition, qui donnera son coup d’envoi ce soir, ce sont six productions et coproductions que le Luxembourg amènera au festival d’Avignon. Comme une réponse à l’inégalité des sexes entre metteurs en scène, la sélection officielle luxembourgeoise met en lumière les femmes. Avec, d’abord, Laure Roldàn, qui se met dans la peau d’Aïda Aznavourian, pour narrer, aux côtés de son frère, Charles Aznavour, l’odyssée d’une famille qui a traversé la pauvreté, la guerre, puis la poursuite du succès. La pièce Petit Frère – La grande histoire Aznavour sera jouée dans l’antre luxembourgeois du festival d’Avignon, la Caserne des pompiers, du 7 au 25 juillet (relâche les jeudis). Côté danse, aux Hivernales, c’est Elisabeth Schilling qui proposera Hear. Eyes. Move. Dances with Ligeti, interprétation chorégraphique des Études pour piano du compositeur hongrois, du 10 au 25 juillet (relâche le 15 juillet).
Dans le «Off», c’est une femme, encore, qui, comme Laure Roldàn, s’empare de l’histoire d’un grand homme : Isabelle Bonillo, seule sur scène avec un accordéon en bandoulière, interprètera Les Misérables de Victor Hugo à sa façon, et en incarnant tous les personnages de cette fresque historique. La pièce sera jouée à l’Espace Saint-Martial, du 7 au 29 juillet (relâche les dimanches). Au théâtre du Chêne noir, enfin, Frank Hoffmann mettra en scène Les Crabes, de l’inclassable Roland Dubillard (dont on célèbre cette année le centenaire de la naissance), avec Denis Lavant. Jouée tous les jeudis, vendredis, samedis et dimanches du 7 au 29 juillet, on espère que la pièce sera montée la saison prochaine au TNL, qui la coproduit.
Côté «In», les Théâtres de la Ville de Luxembourg ne sont pas en reste : la coproduction Extinction, dans une mise en scène radicale de cinq heures signée Julien Gosselin, plongera le spectateur dans une apocalypse imminente. Et dans la commande The Confessions, le metteur en scène britannique Alexander Zeldin retracera le destin de sa mère à travers ses amours et les changements sociaux. Six pièces pour un aperçu succinct mais éclatant de la vitalité du théâtre luxembourgeois.