Après une année 2020 qui a mis à mal tout un secteur, le Luxembourg y revient en force, avec 13 spectacles, dont trois créations nationales. Du jamais vu. Au-delà de la joie, les artistes y voient un signe d’encouragement.
S’il faut choisir un mot, ce serait «inespéré». Après l’annulation de son édition 2020 pour cause de pandémie, le festival d’Avignon tiendra une 75e édition exceptionnelle, qui aura été hantée jusque tard par les incertitudes, pour finalement se trouver soulagée. Car à partir de lundi, et pour trois semaines, le théâtre (et pas que) sera bel et bien célébré dans la Cité des papes, avec une surprise luxembourgeoise : treize spectacles estampillés «made in/with Luxembourg» en tout! Alors que le «Off» affiche cette année un peu plus de mille spectacles, on peut le dire (presque) sans ironie : «Nous sommes les 1 %!»
Dans le «Off», donc, trois créations et quatre coproductions, tandis que le «In», lui, verra cinq coproductions des Théâtres de la Ville de Luxembourg et une contribution du Fundamental Monodrama Festival. Après la mise en perspective de la situation du secteur aux Assises sectorielles du théâtre, lundi, qui s’est achevée sur le constat d’une surproduction et, par la metteuse en scène Sophie Langevin, que le Luxembourg est un «pays de répétitions», la nouvelle d’une présence si forte pour la première fois depuis 1998 et la première création luxembourgeoise à Avignon a de quoi redonner le sourire au secteur. La vice-présidente de la Theater Federatioun, Myriam Muller, tempère néanmoins : «Ce sont surtout les trois créations du « Off » qui auront le plus d’impact, car ce sont des productions nationales. Pour les pièces du « In », ce sont des coproductions qui n’impliquent pas complètement les Théâtres de la Ville comme producteurs.» «Mais il y a une médiatisation qui a été faite autour de cela, grâce à Kultur:LX, et tant mieux, car il est temps que le grand public sache combien de choses se passent au Luxembourg!»
«Une bonne année» pour la création nationale
«Aux Assises, on a beaucoup entendu dire que ce que l’on veut maintenant, c’est pouvoir jouer et pouvoir s’exporter. Là, on fait d’une pierre deux coups», poursuit Myriam Muller. Un point de vue que partage Fábio Godinho, qui pourra enfin présenter sa création Sales Gosses, sur un texte de Mihaela Michailov, après une première au Centaure en 2018 : «En tant que spectateur, ça fait quinze ans que je vais à Avignon. Tous les ans, il y a une production luxembourgeoise. Mais une seule : celle envoyée par le ministère (NDLR : de la Culture). Je le répète depuis des années : il y a une identité luxembourgeoise qu’il faut assumer complètement!» Le metteur en scène affirme que s’il est «parti à Paris pour les études puis fonder (sa) compagnie», c’était aussi par «manque» de quelque chose. «Je voulais travailler au Luxembourg mais pas y rester cantonné. Maintenant, on a des ouvertures et je reviens au Luxembourg. Je ne m’y sens plus enfermé.»
Je le répète depuis des années : il y a une identité luxembourgeoise qu’il faut assumer complètement!
Pour les trois créations du «Off» – la pièce de Fábio Godinho et deux créations de danse, The Hidden Garden de Jill Crovisier et The Passion of Andrea 2 de Simone Mousset –, le risque est cependant toujours le même, celui d’être noyé dans une offre trop riche. Pour Myriam Muller, cependant, «la concurrence sera un peu moindre» : «Dans le « Off », il y a des lieux bien plus fréquentés que d’autres car ils sont synonymes de qualité, mais d’habitude, il y a entre 1 500 et 1 600 spectacles. Cette année, c’est une bonne année : il n’y en aura que 1 000.» Et les artistes pourront aussi compter sur la présence de la Theater Federatioun et de Kultur:LX pour les épauler dans la promotion de leur travail, avec un vrai travail d’accompagnement, souligne la vice-présidente, pour «s’assurer que le spectacle sera vu».
«On va certes à Avignon pour présenter quelque chose, explique pour sa part Jill Crovisier, mais il est tout aussi important d’être représenté.» Le support des institutions profite avant tout aux artistes, qui sont d’ores et déjà assurés de sortir plus forts d’une telle exposition dans la capitale française des arts de la scène. La chorégraphe poursuit : «Avignon, c’est une vitrine. Il est primordial d’y diffuser notre travail, de le faire tourner, de le montrer devant un public de différents pays et devant les professionnels du secteur.» S’il est bien connu qu’à Avignon, on y danse, sa discipline n’est pourtant pas la mieux représentée dans la Cité des papes. Au vu de son importance au Luxembourg, pourtant, c’est une grande victoire de l’y voir représentée. «Il faut continuer à représenter la danse à Avignon, soutient Myriam Muller. C’est aussi grâce à cela que l’on galvanise les jeunes à persévérer dans ce métier. C’est important, sinon, on n’arrivera jamais à grandir.» Elle est catégorique : «Je suis sûre que la double présence du théâtre et de la danse à Avignon va être pérennisée.»
Thématiques d’actualité
Comme pour Fábio Godinho et ses Sales Gosses, le Hidden Garden de Jill Crovisier a quelques années déjà : cinq, exactement. Elle quitte aujourd’hui le Grand-Duché, où elle a répété jusqu’à la dernière minute, pour Avignon, dans un soupir de soulagement : «Ça fait du bien de reprendre le travail.» Les trois créations du «Off» étant des reports de l’édition qui n’a pas eu lieu en 2020, c’est une peine supplémentaire pour les artistes qui ont dû reprendre un travail en suspens depuis un petit moment. «J’avais montré la version courte au théâtre Golovine l’année dernière pendant ma résidence d’une semaine à Avignon, mais la version longue, je ne l’ai pas jouée depuis 2019», indique Jill Crovisier. Fábio Godinho, lui, a fait face à une autre difficulté, le changement de sa comédienne principale, Eugénie Anselin. «Ce n’est pas dû au covid, rassure-t-il. Eugénie a privilégié un autre projet pour le cinéma, ce que je comprends parfaitement, et elle a été remplacée par Claire Cahen. Tout s’est fait très vite…»
Depuis la création des pièces – à l’exception de la toute jeune création de Simone Mousset – des évènements fâcheux sont passés par là. Une pandémie mondiale, notamment, qui a tout changé pour les artistes, mais qui a pu aussi se répercuter sur leurs œuvres. Pour sa créatrice, The Hidden Garden est «un travail qui trouve ses couleurs dans notre époque». «La structure et la chorégraphie restent les mêmes, mais l’interprétation, les corps, portent les traces de notre temps.» Fábio Godinho indique, lui, «tout le contraire». Sa pièce qui traite du harcèlement scolaire n’a «plus le même sens depuis le covid», pour la simple raison que «le rapport à l’école et le lien entre les élèves n’est plus du tout pareil» depuis les cours en visio. Les autres thématiques de Sales Gosses – «comment apprendre la démocratie aux jeunes, quelles sont les limites de la liberté que l’on défend…» – sont tout aussi actuelles, et le metteur en scène les met en relation avec des sujets qui font l’actualité, comme le choix ou non de se faire vacciner et les conséquences qui en découlent. «Au final, c’est un sujet qui restera toujours : il s’agit de nous qui vivons dans une société qui nous fait croire des choses.» Avec une jauge à 100 % à Avignon – mais «avec port du masque obligatoire», précise Fábio Godinho –, on reste en droit de penser ce que l’on veut quant à la vaccination, mais il faudra montrer patte blanche pour assister aux spectacles. Quant à nos artistes, on leur souhaite qu’ils fassent enfin salle comble!
Valentin Maniglia
Le Luxembourg à Avignon
en quelques chiffres
1 contribution et 5 coproductions dans le festival «In»
3 créations et 4 coproductions dans le festival «Off»
8 pièces de théâtre
5 spectacles de danse
6 structures productrices ou coproductrices
6 salles du «Off» reçoivent des créations ou coproductions grand-ducales
163 représentations