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Autriche : une «prime Schnitzel» pour sauver les auberges


Dans les campagnes autrichiennes, les auberges traditionnelles et leurs fameuses escalopes panées bénéficient d’une aide pour éviter la fermeture. Certains y voient un geste social, d’autres l’affirmation d’idées nationalistes. Ambiance.

Michael Stich peut retrouver le sourire : grâce à une subvention régionale, il va pouvoir sauver l’auberge familiale où se réunit tout le village depuis trois générations en Autriche, une convivialité rurale que les autorités entendent préserver. «On nous donne 10 000 euros», un coup de pouce qui «permet de se maintenir à flot» alors que les «prix du gaz et de l’électricité flambent» et «qu’on a notre place dans la commune au même titre que l’église, la mairie ou la caserne des pompiers», dit l’énergique restaurateur de 39 ans.

Au début de l’année, il a repris l’affaire montée par ses grands-parents en 1967 à Pfösing, un village de 300 habitants perdu dans les vignes du Weinviertel, belle contrée vallonnée au nord de Vienne. C’est la région de Basse-Autriche qui a instauré cette mesure en début d’année pour permettre le maintien d’une cuisine traditionnelle dans les campagnes au moment où le tissu rural se délite. En toile de fond, la défense de la «Leitkultur», concept né en Allemagne dans les années 1990 et cher au chancelier autrichien Karl Nehammer, qui souhaite sanctuariser la «culture dominante» menacée par le multiculturalisme.

Quand l’auberge Gasthaus Stich a vu le jour, les habitants s’y retrouvaient pour célébrer les baptêmes, fêter les mariages ou pleurer les morts. On y jouait aux cartes et on réglait les conflits de voisinage à l’amiable, entre deux verres de schnaps. Un vrai «rôle social», selon le père de Michael : on est «l’âme d’une communauté», rappelle ainsi le patriarche de 62 ans, prénommé Hermann, qui s’est battu pour ne pas fermer, comme beaucoup d’autres lieux des collines environnantes, et continue à donner un coup de main.

On a notre place dans la commune au même titre que l’église, la mairie ou la caserne des pompiers

En un quart de siècle, un établissement sur trois de Basse-Autriche a fini par mettre la clé sous la porte. En cause, le dépeuplement des campagnes, les changements d’habitudes, la hausse des coûts ou encore la recherche d’un métier moins contraignant. Dans ce contexte tendu, les restrictions sanitaires liées à la pandémie de Covid-19 ont achevé de décourager ceux voulant préserver la tradition. Alors, il fallait «sauver» à tout prix les rares auberges survivantes, explique l’élu conservateur Kurt Hackl, chargé de l’application de la mesure. «Une vingtaine d’adresses ont obtenu l’aide de notre région», détaille-t-il. Les critères : ouvrir dans un village dépourvu de troquet ou «reprendre le dernier restaurant et proposer tout au long de l’année des mets typiquement régionaux».

Au menu, étoffé au fil des décennies : la toujours très populaire Schnitzel (escalope panée), le rôti de porc bien fondant dans son jus, mais aussi des spécialités saisonnières, comme l’oie qu’on déguste à l’automne, élevée à 400 mètres. Le tout dans un décor rustique, crucifix au mur, trophées de chasse et tables en bois, pour quelques dizaines de couverts, avec la possibilité de déguster les plats en terrasse aux beaux jours, sous les tonnelles, accompagnés des vins du coin.

Pizzerias et kebabs ne sont par contre pas éligibles, précise Kurt Hackl, qui refuse qu’on parle de «discrimination», balayant les critiques sur une «prime Schnitzel», expression parue dans des médias autrichiens pour railler l’initiative. «Il y avait cette crainte au début, parce qu’on est en coalition» avec le parti d’extrême droite FPÖ, mais «on veut juste maintenir la convivialité», redonner une seconde vie à ces «endroits uniques».  Sur le principe, Oliver Fritz, économiste à l’institut de référence Wifo, ne trouve «pas illégitime» que les pouvoirs publics «interviennent pour s’assurer que subsistent de tels lieux de rencontre».

Même si les moyens alloués lui paraissent modestes à ce stade et qu’il faut faire attention aux «effets d’aubaine» : à savoir que des restaurateurs empochent le chèque sans en avoir vraiment besoin. Et «pour parler franchement, peu importe s’il s’agit d’escalopes ou de kebabs : la fonction sociale est la même», lance-t-il. «Lorsque la demande évolue et que les plus jeunes préfèrent manger autre chose, alors il faut faire avec, car aller à contre-courant d’une tendance est extrêmement difficile.» Si grâce à la prime, la quatrième génération Stich met à son tour la main à la pâte, alors le pari aura été gagné.