Dorures et incunables hyper tendance : un monastère autrichien perdu en pleine montagne fait le buzz sur internet grâce à son époustouflante bibliothèque baroque, «instagrammable» à souhait.
Située loin des circuits, à 250 kilomètres au sud-ouest de Vienne, la vénérable abbaye bénédictine d’Admont a près de 950 ans au compteur. Mais elle n’a pas hésité à embrasser son siècle et les réseaux sociaux pour se tailler une place dans le secteur touristique du patrimoine religieux, très concurrentiel en Europe. «C’était en 2018 et on se demandait comment toucher un plus large public», explique le responsable de la communication, au look bon chic bon genre. «On s’est dit que le meilleur moyen, c’était de tout miser» sur la bibliothèque, «une salle unique», auprès des influenceurs et un véritable «aimant à foule», détaille Mario Brandmüller.
Avec ses 70 mètres de long, 14 de large et près de 13 de hauteur, ce lieu aux 70 000 ouvrages est à lui seul un temple des superlatifs. De quoi s’autoproclamer «plus grande bibliothèque monastique au monde». Fresques colorées au plafond, sculptures en bois de tilleul, sol de marbre en damier qui contraste avec des murs immaculés… Il y a là tout ce qu’il faut pour la photogénie moderne. «Nous avons partagé des clichés et des vidéos sur différentes plateformes de voyage et de culture» en 13 langues différentes, raconte le porte-parole, se félicitant d’avoir «réussi à transmettre un contenu qui captive» partout dans le monde.
Des conseils spirituels et une visite virtuelle
Le site internet du monastère a également été relooké : on peut y trouver des conseils spirituels ou encore une visite virtuelle. La consécration numérique a été totale quand Oprah Winfrey elle-même, la papesse de la télévision américaine, a chaudement recommandé début 2021 la visite d’Admont dans le cadre de son très prescripteur club de lecture. «Go for Baroque in Austria!», a-t-elle lancé. Conséquence de cette stratégie marketing bien rodée, les vidéos ont fleuri sur TikTok et le nombre d’abonnés au compte Facebook s’est envolé de 4 500 en 2018 à 160 000 actuellement.
L’abbaye touche sur ce même réseau une sacrée audience, estimée à «25 millions de personnes par mois», contre seulement 10 000 il y a quatre ans, se réjouit Mario Brandmüller, épaulé par deux moines geeks qui se sont pris au jeu.
Le succès se traduit aussi en dehors de la Toile : le site, qui tape dans l’œil des amateurs de selfies, a fait le plein l’été dernier avec près de 60 000 billets vendus entre juin et septembre. Déjà pour son inauguration en 1776, la bibliothèque avait été conçue pour en mettre plein la vue. Il s’agissait alors de tenter de concurrencer le monastère de l’Escurial à Madrid dans l’esprit de la Contre-Réforme.
Go for Baroque in Austria!
Une fois franchies les portes, les visiteurs peuvent s’intéresser à l’importante collection de manuscrits – dont le plus ancien date du VIIIe siècle – miraculeusement épargnée par un incendie en 1865. Toutefois, seuls les chercheurs ont le droit de consulter ces précieux et fragiles objets. Loin des considérations philosophiques de son architecte Joseph Hueber, qui disait que «comme l’esprit, la lumière doit inonder l’espace», certains retiennent ses similitudes avec la «bibliothèque Disney». Il y a trente ans, le studio se serait en effet inspiré de ces gigantesques volumes pour des scènes devenues cultes du dessin animé La Belle et la Bête.
Le coup de projecteur permet aussi à l’abbaye de transmettre la foi et même de recruter : ainsi, l’un des vingt-trois moines a rejoint le couvent après l’avoir découvert derrière son ordinateur. C’est ce dynamisme dans le domaine des relations publiques qui a valu aux bénédictins un prix convoité remis par le gouvernement et nommé «Staatspreis».
Belle reconnaissance, même si l’abbé Maximilian Schiefermüller, qui s’occupe des archives, se dit «très strict concernant les sollicitations qui vont de la simple séance photo au défilé de mode». «Bien sûr, la bibliothèque nous a rendus célèbres», reconnaît le religieux de 41 ans en dévoilant l’escalier secret menant à une estrade de lecture que rêvent d’emprunter des milliers d’internautes. Mais «le cœur vivant du monastère, cela a toujours été l’église».