Dans un gymnase planqué en sous-sol, des ados pakistanais gorgés de testostérone se prennent à bras le corps puis se frappent avec une féroce énergie.
Deux jeunes s’entraînent sous les yeux de Bashir Ahmad, le maître du dojo local. (Photo : AFP)
Au « pays des Purs », les combats extrêmes séduisent de plus en plus de jeunes sous l’impulsion de l’étoile montante, le trapu Bashir Ahmad. Cocktail d’arts martiaux, de lutte et de boxe, la MMA (Mixed Martial Arts) connaît une progression fulgurante à travers le monde. Les combats sanglants de ces gladiateurs des temps modernes attirent des milliers de spectateurs, des millions en comptant ceux qui suivent leurs héros musclés à la télé ou sur le web. Au Pakistan, qui a payé depuis dix ans un lourd tribut à la violence imposée des attentats islamistes, ils sont déjà 500 irréductibles à se jeter corps et âme dans ce sport extrême dont l’intensité jure avec les ronronnantes et interminables joutes de cricket, le sport national, entrecoupées de « pauses pour le thé ».
Ce jour-là, dans son gymnase de Lahore, principale ville de l’est du pays, Bashir Ahmad, maître du dojo (salle d’arts martiaux) local, arbitre des combats endiablés de ju-jitsu et de boxe entre jeunes tantôt filiformes, tantôt aux muscles saillants dans leurs maillots moulants. Tous transpirent sous les vivats de lutteurs qui attendent leur tour et dont les cris sans équivoque – « Du sang ! Du sang ! » – percent les tympans.
Douze ans à peine et un uppercut du tonnerre, Dawood Shahid, a longtemps suivi sur le petit écran, comme des millions d’autres Pakistanais, la lutte américaine WWE (World Wrestling Entertainment) et ses combats-spectacles scénarisés, avant de passer récemment au « combat libre ». « La WWE, c’est truqué, la MMA c’est du réel », lance-t-il après son combat d’entraînement.
> Prophète en son pays
La MMA s’est propagée au Pakistan par un cercle d’intimes gravitant autour de Bashir Ahmad. Petit, barbe finement taillée, droit dans ses bottes et fort comme un boeuf, ce Pakistanais a été démineur en Irak pour l’armée américaine, avant de se consacrer aux arts martiaux aux Etats-Unis et de faire un saut en MMA en Thaïlande où il a combattu en amateur sous le pseudonyme de « Somchaï », « homme » en thaï.
En 2009, il rentre au Pakistan, s’entraîne, ouvre son club et organise avec ses amis des galas de « combat extrême » dans des cages métalliques, faisant naître une scène locale underground. Puis vient la consécration, l’an dernier. Le championnat asiatique ONE, sorte de deuxième division de la MMA, derrière l’UFC américaine et ses stars millionnaires comme le Québécois George St-Pierre, alias « GSP », approche Bashir pour un combat à Singapour, qu’il remporte non sans quelques ecchymoses. Pour la première fois, le Pakistan compte une star de « combat extrême ».
Ce succès galvanise les jeunes fans de la discipline au Pakistan, sans toutefois enflammer le reste du pays, toujours accro au cricket ou à la lutte traditionnelle. Aujourd’hui, le combat extrême pakistanais cherche à faire mentir l’adage du personnage de Brad Pitt dans le film « Fight Club », où des hommes écument leur nuit dans des combats secrets : « La première règle du fight club est : il est interdit de parler du fight club ». Au contraire, ils cherchent à sortir de l’ombre. Mais ce sport peine encore à intéresser les télévisions locales, passage obligé pour faire décoller la discipline auprès du grand public. « Depuis un an, j’ai fait le tour des chaînes pakistanaises en leur disant: « J’ai une bonne idée, j’ai des bons lutteurs, j’ai un ring…. Nous pourrions diffuser un spectacle de MMA » », lance Sheikh Sultan Shahid, promoteur de « combat libre » qui a ouvert cet été un énorme club de gym à Lahore. Sans succès. « Les chaînes m’ont dit: « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Ce n’est pas du cricket ! », dit-il.
> « Lutte » des classes
Dans le gymnase de Bashir Ahmad, des gamins de quartiers pauvres affrontent ce jour-là d’autres enfants d’un secteur huppé de Lahore, abolissant pour quelques heures les solides barrières de cette société ultra-hiérarchisée.
Fils d’un mollah issu d’une famille pauvre, Abdul Rafique, 19 ans, touche 10 dollars par semaine, une « bourse » fournie par le propriétaire d’un gymnase qui flaire en lui un talent. Une partie des apprentis combattants pakistanais à la MMA disent se limiter aux arts martiaux et ne pas vouloir porter de coups au visage car il jugent cela « haram », « non islamique ». « Au début, mes parents n’aimaient pas trop ça, mais ils ont progressivement changé d’avis… Je viens d’une famille très pauvre, si Dieu le veut je serai un jour professionnel », souffle Abdul Rafique.
S’ils rêvent des cages octogonales d’Asie ou d’Amérique, les combattants plus fortunés semblent plus hésitants à voir dans la MMA un avenir. Biceps et abdos sculptés dans le roc, Harris Butt, un étudiant en médecine, a reçu une première offre pour se battre à l’étranger. Mais sa mère a refusé, jugeant peut-être qu’à l’hôpital, il valait mieux être le médecin que le patient… « Si la MMA s’étend et devient abordable pour tous au Pakistan, vous verrez à quel point nous sommes des combattants », lance à la sortie du gym un jeune apprenti lutteur. Car la jeunesse de ce pays pauvre endeuillé par les attentats, plombé par la crise énergétique et agité par les luttes politiques ne manque pas de frustrations à exorciser.
AFP