Depuis une décennie, le Pakistan est endeuillé au quotidien par des attentats. Mais le malheur des uns fait le profit des autres, comme Jehanzeb Khan. Ce fabriquant de cercueils a vu son commerce fleurir dans la tourmente.
« Aujourd’hui, des gens sont tués chaque jour dans des attaques terroristes et il m’arrive de ne pas pouvoir répondre à la demande », avoue Jehanzeb. (Photos : AFP)
Cet ex-quincailler de 60 ans ne croyait pas devenir le pionnier d’une nouvelle tendance lorsqu’il s’est lancé au début des années 80 dans la confection de cercueils, dans un pays où traditionnellement les morts sont transportés au cimetière sur un lit de cordes tressées, puis inhumés dans un linceul. Mais pour les victimes mutilées d’attentats-suicides ou d’attentats à l’explosif, qui ont lieu presque tous les jours au Pakistan, un cercueil est plus approprié.
Jehanzeb, à la barbe blanche finement soignée, fait aujourd’hui des affaires en or, sans s’en réjouir. « Quand je me suis lancé dans ce commerce, je ne pensais jamais connaître autant de succès. Aujourd’hui, des gens sont tués chaque jour dans des attaques terroristes et il m’arrive de ne pas pouvoir répondre à la demande », dit-il dans son atelier niché dans le bazar de Yakatoot, à Peshawar, grand carrefour aux portes de l’Afghanistan.
Le 16 décembre dernier, un commando taliban a fait irruption dans une école de Peshawar, traquant les écoliers jusque sous leurs bancs d’école ou les alignant devant le tableau pour les exécuter froidement. Après cette attaque qui a coûté la vie à 150 personnes, la plus meurtrière de l’histoire du pays, le commerce de Jehanzeb a été pris d’assaut. Ce jour-là, il a vendu 60 cercueils, écoulant tous ses stocks. Mais le commerçant ne se frotte pas les mains. « J’étais anéanti. Il y a eu de nombreuses attaques dans cette ville qui m’ont brisé le cœur, mais celle-là était de loin la plus terrible et la plus préoccupante. Ces enfants étaient nos enfants », souffle-t-il.
Ce jour terrible n’était pourtant pas un record : il avait vendu encore plus de cercueil en une journée de 2012, lorsque deux kamikazes se sont fait exploser sur le parvis d’une église chrétienne de Peshawar à la sortie de la messe. Mais malgré l’émotion initiale, la colère populaire était rapidement tombée.
Après l’attaque contre l’école de Peshawar, fréquentée par des enfants de militaires, l’institution la plus respectée du pays, le Pakistan a semblé basculer. Les militaires ont intensifié leurs raids contre les talibans en lutte contre le pouvoir et promis de cibler « tous les terroristes » y compris ceux qui sévissent à l’étranger à partir du Pakistan.
> Une nouvelle tendance
Jehanzeb ne vendait qu’un à trois cercueils par jour dans cette ville de 4 millions d’habitants, avant l’émergence des talibans locaux du TTP, qui ont lancé en 2007 le jihad contre le pouvoir à Islamabad.
Ses clients étaient principalement alors des réfugiés afghans voulant inhumer leurs proches de l’autre côté de la frontière, et donc transporter les dépouilles dans des cercueils. Ou bien des familles respectant stricto sensu la « purdah », coutume locale qui consiste à isoler les femmes des hommes, voulant s’assurer que, même dans la mort, les femmes ne soient pas au contact des hommes.
Aujourd’hui, les cercueils en bois à l’intérieur rembourré ont la cote. Jehanzeb en vend une quinzaine par jour, aux victimes des violences, mais aussi aux familles dont un proche est mort de sa belle mort, c’est-à-dire en paix. Et cette tendance a gagné jusqu’aux forces de sécurité.
D’autres magasins, comme celui de Shehryar Khan, 23 ans, se spécialisent dans les cercueils pour les militaires, en première ligne de l’insurrection islamiste. « Les militaires exigent du bois de meilleure qualité et des poignées sur les côtés pour transporter plus facilement la dépouille. Un cercueil normal coûte environ 3 000 roupies (25 euros) mais un cercueil de militaire avoisine les 10 000 roupies (78 euros) », dit-il.
> Service de nuit
Dans la tradition musulmane, les morts doivent être enterrés le jour même ou au lendemain du décès. C’est pourquoi un employé de Shahryar Khan, Niaz Ali Shah, dort dans la boutique de Peshawar au cas où « la grande faucheuse » s’inviterait en ville pendant la nuit.
« Les ambulanciers nous connaissent et lorsque des gens ont besoin d’un cercueil, ils les conduisent directement à notre boutique », une parmi la quinzaine que compte Peshawar, explique cet homme à la barbe noire fournie, un bonnet circulaire de prière vissé sur le crâne. « Les gens arrivent en pleurant. Leur vendre des cercueils nous rappelle que nous sommes aussi mortels, que cette vie n’est que temporaire », explique-t-il.
AFP