De Gudde Wëllen a lancé l’initiative «House of Auction» qui mélange exposition en ligne et vente aux enchères pour aider à la fois le club, diffuseur indépendant, et les artistes.
La perspective d’une reprise est toujours incertaine pour bien des institutions culturelles au Luxembourg. En face des musées, soumis à un respect strict des mesures de prévention, l’éventail, la proposition culturelle est, elle, bien confinée et toujours aussi réduite qu’une peau de chagrin. Alors les actions, les initiatives continuent.
«On avait lancé tout au début de la crise une collecte qui combinait levée de fonds pour nous et levée de fonds pour une association», raconte Luka Heindrichs, le gérant du «culture club» De Gudde Wëllen, à Luxembourg.
Ainsi, pour chaque euro donné, le lieu reversait la moitié à l’ONG Catch A Smile, qui vient en aide aux réfugiés en organisant des convois de secours. L’occasion pour le Gudde Wëllen de rappeler que la crise sanitaire s’étend au-delà des populations confinées et que les personnes concernées ont, elles, un besoin d’aide qui est réel. Sur le site de financement participatif Gofundme.com, la collecte est encore ouverte plus de deux mois après son lancement et, bien que l’objectif de 20000euros ait été dépassé avec succès, les dons sont toujours les bienvenus.
Mais le travail ne s’est pas terminé là: à la suite de cela, l’artiste Sarah Mandres est venue trouver l’équipe du club avec une idée en tête. «C’est quelqu’un qui vient souvent chez nous», une amie, indique Luka Heindrichs. Et l’artiste de renchérir: «Au début de la crise, j’ai pensé à tout le monde, à eux, et je me suis demandé comment je pouvais aider. Qu’est-ce que je pouvais faire pour aider ces gens qui sont d’abord des amis? Donc j’ai proposé à Luka de leur offrir un tableau» pour la levée de fonds et de donner au Gudde Wëllen les sous récoltés.
Un concept solidaire
Un point de départ qui a mené l’équipe à «réfléchir à en faire un concept», qui a pris le nom de «House of Auction» : depuis vendredi et jusqu’au 5 juin, cinquante-sept œuvres d’art réalisées par trente artistes sont proposées sur un site dédié qui sert à la fois d’exposition en ligne et de lieu d’enchères.
«Une initiative solidaire, un win-win», comme le décrit Sarah Mandres, qui propose une autre de ses œuvres sur le site. En effet, l’argent récolté servira non seulement à sauver De Gudde Wëllen mais sera aussi reversé aux artistes, touchés par la crise. «Certains de mes amis vivent la période avec beaucoup de mal, poursuit l’artiste. On voit ce qui se passe, on voit le nombre de gens qui perdent leur emploi… Ce n’est pas une période où les gens vont acheter de l’art.» Sauf pour la bonne cause, bien sûr, une bonne cause qui sert aussi le plaisir des collectionneurs.
Luka Heindrichs, à la tête d’une institution qui revendique son indépendance, regarde l’avancée de la situation droit dans les yeux : «Les aides sont ô combien précieuses en ce moment, mais il reste quand même des frais que les aides ne permettent pas de couvrir. De l’autre côté, on a des artistes dont certains ont eu des expositions ou des programmes annulés. Si on est artiste indépendant et qu’on ne vit que de ce qu’on vend, alors il n’y a aucune entrée d’argent pour l’instant.» House of Auction serait donc un moyen de sauver la culture par la culture, sans l’entremise d’aides ou de plans de secours.
Artistes, amis et sauveurs
Une entreprise noble pas seulement pour le but auquel elle souhaite parvenir, mais aussi car elle est ardemment entourée et défendue par des amis, les premiers d’entre eux étant les auteurs des œuvres mises en vente, des artistes «tous plus ou moins liés au Gudde Wëllen», selon le gérant du club. Parmi eux, Giamba, «qui travaille chez nous et qui nous a aussi aidés à contacter les artistes», Daniel Wagener, «un photographe qui, il y a cinq ans, avait créé notre logo, qu’on utilise toujours aujourd’hui», mais aussi Nora Wagner, Sandra Lieners, Eric Mangen, Filip Markiewicz… «C’est avant tout ces personnes-là qu’on voulait impliquer, celles qui avaient participé au Gudde Wëllen et celles qu’on voit souvent.»
On retrouve d’ailleurs sans grande surprise le ton et la saveur du lieu dans certaines œuvres proposées, auxquels s’ajoute une résonance toute particulière avec la crise sanitaire actuelle. On le remarque notamment dans ce labyrinthe hypnotique signé Mett Hoffmann et sobrement intitulé Fuck Crisis!, ou dans cette affiche de Giamba qui revisite la pochette qu’il avait réalisée pour l’album Kale Bauer du groupe de rap De Läb: dans cette version 2020 qui porte le titre de Kranke Bauer, l’«artwork» original est inchangé, si ce n’est que les personnages portent masques, gants et brandissent des bouteilles de désinfectant.
Si la mise en place de l’initiative House of Auction s’est faite très rapidement – «l’idée remonte à deux, peut-être trois semaines», indique Luka Heindrichs –, la réouverture propre du lieu est encore la grande inconnue dans l’équation. «Pour être honnête, on ne sait pas du tout où on va. Le Gudde Wëllen est un lieu assez petit, où il n’y a pas de terrasse, donc ça va être compliqué pour trouver des solutions de distanciation sociale.» Et en attendant de pouvoir y retourner, l’argent qui n’y aura pas été dépensé en concerts et en boissons peut toujours servir à faire de bonnes actions.
Valentin Maniglia