Joués par des légendes du jazz et encore fabriqués largement de manière artisanale en France, les saxophones de la marque Selmer, qui fêtent cette année leur centenaire, se vendent dans le monde entier et sont de plus en plus populaires en Asie.
Dans les ateliers Selmer de Mantes-la-Ville, la graveuse Morgane Duhamel repère une imperfection et ajoute à la main «une petite gravure qui sera personnalisée et offrira au client un instrument unique». Les modèles haut de gamme de ces instruments en laiton, dans lesquels ont soufflé John Coltrane, Wayne Shorter, Stan Getz ou Sonny Rollins, sortent toujours de ce site, à 55 km à l’ouest de Paris.
Les finitions et l’assemblage des modèles d’entrée de gamme Axos sont eux désormais réalisés en Chine. Même pour ces instruments plus abordables que le reste de la gamme – qui coûtent tout de même 3 150 euros pour un saxophone alto et 4 150 euros pour un ténor – «l’ensemble des opérations qui déterminent l’acoustique de l’instrument sont réalisées à Mantes», dit le président exécutif de la marque, Thierry Oriez, lors d’une visite sur place.
Selmer a toujours été promené entre le côté modernité sur les outils et le côté un peu amish : la forge, la soudure et le polissage sont faits à la main
Cette nouvelle gamme «nous permet d’être plus agressif sur le marché chinois», argue Thierry Oriez, qui a repris les rênes de l’entreprise en juillet, succédant à Jérôme Selmer, l’arrière-petit-fils du fondateur. Thierry Oriez avait dirigé l’argenterie Christofle et auparavant le chausseur Weston.
L’entreprise familiale, fondée par le clarinettiste Henri Selmer en 1885, a été vendue en 2018 par ses héritiers au groupe de capital-investissement européen Argos Soditic et une filiale de distribution pour l’Asie a été créée en 2020.
Tradition et modernité
Si les jazzmen qui ont fait la réputation de la marque Selmer sont en majorité américains, les États-Unis ne sont plus aujourd’hui que le quatrième marché du fabricant, derrière la Chine qui pèse environ 20 % à elle seule, le Japon et la Corée du Sud. «L’Asie est clairement la zone la plus dynamique actuellement», résume Thierry Oriez. «La France représente 8 % à 9 % de notre chiffre d’affaires et plus de 90 % de nos ventes se font à l’international», selon le président, qui se dit «convaincu qu’on pourrait faire davantage sur les États-Unis».
Si les ateliers comportent des machines de précision à commande numérique, utilisées pour la fabrication de certaines des quelque 700 pièces qui composent chaque instrument, une grande partie du travail est toujours réalisée de manière artisanale.
«Selmer a toujours été promené entre le côté modernité sur les outils et le côté un peu amish : on garde la forge, la soudure et le polissage faits à la main», explique Éric Bruel, un ouvrier qui forme les pavillons des saxophones en faisant tourner les tubes de laiton sur un mandrin.
«En presque 30 ans de société, j’ai vu beaucoup d’évolutions au niveau de l’outillage, des familles d’instruments, l’évolution de la musique avec les saxophonistes des jeunes générations qui n’ont pas forcément les mêmes sonorités que leurs aînés», détaille-t-il. Selon lui, la recherche de nouveaux timbres «a une influence sur le traitement du métal : la température de recuit qu’on va faire au chalumeau, ça va être plus ou moins fort, plus ou moins longtemps».
Après les étapes de chaudronnerie, les opérations de mécanique (découpage, perçage, fraisage…), le factage qui permet de monter sur le tube les nombreuses clés, l’instrument est assemblé et verni une première fois, avant de passer au gravage.
Nouveaux modèles
L’entreprise, qui possède un laboratoire travaillant avec des musiciens pour développer de nouveaux modèles, a traversé deux années difficiles : «La crise du covid-19 nous a impactés ainsi que l’ensemble de nos clients» car «le monde de la musique s’est arrêté», que ce soit les spectacles ou les cours dans les conservatoires, rappelle Thierry Oriez.
Depuis, le carnet de commandes s’est rempli et Selmer est confronté comme beaucoup d’entreprises à des difficultés de recrutement alors que l’épidémie de covid-19 continue à poser des problèmes d’absentéisme. La guerre entre la Russie et l’Ukraine n’a «pas de conséquences directes» pour Selmer, car «on n’était pas du tout présent sur ces marchés-là», précise le dirigeant, qui s’attend néanmoins à des tensions sur les matières premières et dit s’être assuré que rien ne manquerait pour pouvoir continuer à produire, sans toutefois avoir constitué «d’énormes stocks».