«XR3», un titre d’exposition qui semble venu du futur. Ce qui n’est pas tout à fait faux : il s’agit d’une exposition virtuelle dans un musée qui n’existe pas, mais qui n’en est pas moins ouvert gratuitement à la visite, jusqu’au 20 juin, au Casino.
On connaissait déjà le Casino Luxembourg comme le lieu privilégié de la réalité virtuelle au Grand-Duché, et ce, même si le Pavillon VR du LuxFilmFest a changé de quartiers pour les salles voûtées de Neimënster depuis l’édition 2020. Depuis mercredi, et jusqu’au 20 juin, le Forum d’art contemporain accueille l’exposition virtuelle «XR3». Une initiative internationale qui unit les forces du NewImages Festival – festival parisien de la création numérique et des arts virtuels –, du Tribeca Film Festival, fondé à New York par l’acteur Robert De Niro et la productrice Jane Rosenthal, à travers sa section «Immersive», de Cannes XR, l’espace consacré aux réalités virtuelle et augmentée au Marché du film du célèbre festival de la Côte d’Azur, et rendue possible au Luxembourg grâce au Film Fund, en collaboration avec le LuxFilmFest et le Casino.
Avec l’exposition «XR3», une galerie peut en cacher une autre. Ainsi, sous la véranda du Casino, le casque VR est la porte d’entrée pour le «Museum of Other Realities» («Musée des autres réalités»), soit une galerie virtuelle en accès libre dans laquelle on – notre alter ego immatériel, du moins – se balade, comme dans un vrai musée, en suivant l’objet-signature des grands évènements, le tapis rouge, jusque dans les treize différentes salles de l’espace d’exposition. Chacune d’entre elles propose un film, tantôt axé sur la narration, tantôt sur l’expérience pure, auquel on accède en se positionnant simplement sur l’espace désigné : un procédé qui fait disparaître l’environnement muséal, absorbé par l’œuvre elle-même. On n’entre pas dans ce musée pour regarder de l’art, mais pour y prendre entièrement part.
De spectateur à «spectacteur»
Les treize films proposés dans cette exposition, produits en Europe, en Amérique ou encore en Afrique, proposent donc, chacun à sa manière, un voyage aux confins du réel et du fabriqué, du tangible et du fantastique, et brisent par la même occasion les distances et les séparations géographiques, parfois même jusqu’aux frontières politiques et temporelles. En cela, le projet le plus ambitieux est Lady Sapiens : The Experience, de Camille Duvelleroy, qui se déroule… il y a 38 000 ans ! Le spectateur, transformé en «spectacteur» interagissant avec son environnement (très hostile), incarne donc une femme préhistorique qui, dans le clou du spectacle offert par la réalisatrice et le studio français Ubisoft, célèbre pour ses jeux vidéo (Assassin’s Creed, Prince of Persia, Far Cry, Watch Dogs…), partira chasser le mammouth.
De l’aventure fantastique et terrifiante, c’est aussi ce qu’offre Biolum, coproduction franco-allemande réalisée par Abel Kohen. Une double immersion dans un autre monde, puisqu’il s’agit là de se glisser dans la peau d’un plongeur qui s’enfonce dans les eaux profondes, où la beauté de la vie tournera vite au cauchemar. Les amateurs d’horreur y trouveront leur compte, au prix de grosses gouttes de sueur, que la chaleur qui règne sous la véranda du Casino – le seul élément qui ramène le spectateur à sa réalité – n’aide pas vraiment à éponger.
Entre hyperréalisme et documentaire
S’il y a une donnée qui valide définitivement une œuvre d’art en tant que telle, c’est que celle-ci doit susciter la réaction. Dans cette exposition virtuelle, outre le grand spectacle époustouflant, on est touché par l’émotion d’œuvres plus intimes (The Hangman at Home, de Michelle et Uri Kranot; Marco & Polo Go Round, de Benjamin Steiger Levine; Namoo, d’Erick Oh), mais ce sont les expériences engagées qui attirent surtout l’œil, comme le franco-belgo-congolais Kinshasa Now, de Marc-Henri Wajnberg, ou l’errance d’un adolescent abandonné par sa famille dans les rues de la plus grande ville d’Afrique, entre hyperréalisme et documentaire. Et, surtout, le nécessaire Reeducated, film américain de Sam Wolson, qui reconstruit l’expérience de trois ex-prisonniers du centre de rééducation chinois de Xinjiang : une œuvre dont la cruauté fonctionne trop bien, malgré une animation volontairement rudimentaire, et qui ose le pari malaisant de mettre le spectateur autant dans la peau du détenu, dont on occupe le dortoir, que du gardien, en étant automatiquement obligé de regarder vers le bas pour observer nos compagnons de cellule. Question de point de vue…
Toute exposition contient un chef-d’œuvre à découvrir et à admirer. Dans le «Museum of Other Realities», le bijou se trouve tout au fond de la galerie : c’est Strands of Mind, expérience contemplative qui transcende même le regard, réalisée par l’Allemand Adrian Meyer. Et, derrière lui, Terrence Malick, Gaspar Noé ou encore Godfrey Reggio, soit autant de références dont s’imprègne l’objet, qui commence comme une errance planante au cœur de la nature pour devenir un voyage épileptique et vertigineux qui ramène l’humain à l’essence même de sa propre existence. À découvrir de toute urgence !
Valentin Maniglia
Exposition virtuelle «XR3», jusqu’au 20 juin. Casino – Luxembourg.