Sept siècles après sa fondation, le royaume Bamoun, l’un des plus anciens d’Afrique subsaharienne, a inauguré un musée retraçant son histoire et sa culture à Foumban, ville de l’ouest du Cameroun et capitale historique des Bamouns.
Pour pénétrer dans le musée des Rois bamouns, dans l’ouest du Cameroun, on passe sous les crochets des gueules béantes d’un gigantesque serpent à deux têtes, clou d’un imposant édifice en hommage à l’un des plus vieux royaumes d’Afrique subsaharienne, inauguré en grande pompe ce week-end. À Foumban, capitale historique des Bamouns, la place du palais royal n’était pas assez vaste pour accueillir des milliers de sujets et badauds venus samedi de tout le pays, en plus des 2 000 invités à la tribune officielle : dignitaires autour de leur roi, Mouhammad-Nabil Mforifoum Mbombo Njoya, ministres, préfets, diplomates… Les notables de ce royaume vieux de plus de six siècles avaient revêtu leurs tenues traditionnelles d’apparat, des boubous aux couleurs diverses et étaient coiffés de chéchias assorties.
Le Cameroun compte quelque 270 ethnies aux coutumes et langues différentes et plus de 80 chefferies de premier degré (royaumes et sultanats), issues de l’époque précoloniale. L’importance du droit coutumier et le sentiment d’appartenance à ces chefferies demeurent vivaces dans le quotidien des 28 millions d’habitants de ce vaste pays d’Afrique centrale, qu’ils soient restés sur leurs terres ou aient migré. Au point qu’ils sont aujourd’hui un échelon de l’organisation administrative et politique du pays, et que la place de leurs chefs est consacrée au sein des institutions nationales et régionales par la loi et la Constitution.
Le royaume Bamoun, fondé en 1384, est aujourd’hui l’un des plus anciens d’Afrique subsaharienne. Quand les cultes monothéistes se sont progressivement substitués aux croyances traditionnelles, son monarque, en plus de Mfon (roi), a pris le titre de sultan à la fin du XIXe siècle, en fondant une religion s’inspirant à la foi de l’islam et du christianisme. Le nouveau musée a été bâti en reproduisant les armoiries du royaume sur 5 000 m2 : une araignée à pattes velues et deux cloches surmontant le serpent à deux têtes.
C’est l’un des rares royaumes à avoir réussi à exister et rester authentique, malgré la présence coloniale
À la cérémonie, des griots aux boubous multicolores jouaient du tambour et de longues flûtes traditionnelles, sous des coups de feu tirés à intervalles réguliers pour ponctuer l’arrivée des hôtes de marque devant des fusiliers du palais aux boubous et pantalons marron. Puis des princes et princesses des chefferies bamounes aux robes jaunes, visage couvert de masques en bois représentant des animaux, ont exécuté la danse rituelle Ndjah. «C’est une fête pour le peuple bamoun. Nous sommes venus de partout pour vivre ce moment unique», exulte Ben Oumar, un homme de 50 ans souffrant de handicap, coordinateur d’une association de Douala, la capitale économique, à plus de huit heures de route de Foumban. «C’est un sentiment de fierté d’assister à cet événement. On l’a attendu pendant longtemps», se réjouit Mahamet Jules Pepore, 56 ans, un fonctionnaire du département.
«Pour le Cameroun», un tel musée dédié à l’histoire d’un royaume est «unique par son envergure», tout comme «l’engouement autour de son inauguration», assure Armand Kpoumié Nchare, docteur en géographie spécialisé en patrimoines culturels et auteur du livre Le Rituel Nguon chez les Bamoun du Cameroun. «C’est l’un des rares royaumes à avoir réussi à exister et rester authentique, malgré la présence des missionnaires, marchands et administrateurs coloniaux», affirme l’expert.
Le musée des Rois bamouns héberge près de 12 500 pièces, dont quelques-unes seulement étaient auparavant présentées dans des salles du palais royal. «Il rend compte de la riche créativité multicentenaire de ce peuple, aussi bien artisanale qu’artistique, mais aussi des innovations technologiques paysannes à diverses époques : moulins, pressoirs…», détaille Armand Nchare. Sans compter des attributs du pouvoir royal, des masques, des armes, des pipes, des statuettes, des instruments de musique…
En bonne place, des pièces du quotidien du plus célèbre de leurs monarques, Ibrahim Njoya, qui régna de 1889 à 1933 et inventa une écriture bamoune de plus de 500 signes syllabiques. Le musée expose notamment ses manuscrits et une machine à moudre le maïs que le roi avait inventée. «Nous rendons hommage à un roi simultanément gardien et pionnier (…), une façon pour nous d’être fiers de notre passé pour construire l’avenir» et «montrer que l’Afrique n’est pas importatrice de pensées», a lancé samedi son arrière-petit-fils, le roi et sultan Mouhammad-Nabil Mforifoum Mbombo Njoya, 30 ans, sur le trône depuis 2021.
Pour perpétuer l’œuvre de son grand-père, le sultan Ibrahim Mbombo Njoya (1992–2021), constatant que les salles du palais étaient trop exiguës, avait lancé en 2013 la construction du nouveau musée. Le bâtiment voit aussi le jour quelques mois après que le Nguon du peuple bamoun, un ensemble de rituels donnant lieu à un festival annuel très fréquenté, a rejoint la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.