Présent dans l’actualité davantage pour ses frasques que pour sa musique, Kanye West a révélé la sortie surprise, demain, de Donda, son dixième album, dédié à sa mère. On n’en sait encore rien, mais il n’en faut pas plus pour faire monter la sauce.
Dans la nuit de mardi à mercredi, tous les regards étaient tournés vers la planète basket, pour le sixième match d’une finale NBA inattendue qui a vu s’opposer dans un combat sans merci les Suns de Phoenix aux Bucks de Milwaukee, qui sont allés se coucher heureux, vainqueurs du titre pour la première fois depuis cinquante ans. Aux États-Unis, les évènements sportifs sont aussi de grandes vitrines pour les artistes : quand Hollywood garde précieusement les premières images de ses plus gros blockbusters pour les révéler en grande pompe en finale du Superbowl, en basket, sport par excellence de la culture hip-hop, les musiciens ne sont pas non plus avares en surprises à l’approche des playoffs. Celle de mercredi est arrivée au détour d’une pub pour la marque de casques Beats by Dre, qui a révélé l’extrait d’un titre inédit de Kanye West, complétée par l’annonce de la sortie, vendredi, de Donda, dixième album solo du rappeur et producteur de Chicago.
Comme souvent dans l’histoire récente de Kanye West, tout commence par un – multiple – faux départ, pour se conclure en véritable évènement. Et ce, si l’on omet bien entendu les cas, en 2018, du malchanceux Yandhi, album ressuscité sous la forme d’un «bootleg» qui a fuité sur internet, puis, en 2019, de l’arlésienne Jesus Is King Part II, album collaboratif entre West et Dr. Dre, et enfin, l’année dernière, du mort-né God’s Country. Il y a pourtant fort à parier que, de même que certains titres de Yandhi ont trouvé leur chemin sur Jesus Is King (2019) – ou, à une autre époque, des morceaux du projet abandonné So Help Me God qui ont fini par figurer sur The Life of Pablo (2016) –, God’s Country et Donda sont peu ou prou la même chose. «Ye» l’a lui-même annoncé l’année dernière sur Twitter, mais on connaît aussi la propension du musicien, véritable «control freak», à être capable de retravailler tout un projet de A à Z en très peu de temps. On ne saura probablement jamais à quoi ressemblait la vision originelle de Donda, qui devait sortir à l’origine en janvier 2020, puis le 24 juillet de la même année. Mais on peut, sans trop prendre de risques, mettre sa main à couper qu’elle n’a plus grand-chose en commun avec l’album qui s’apprête à sortir.
Imprévisible génie
En bref, s’il y a bien une chose à propos de Kanye West dont on peut être sûr, c’est qu’avec lui, on n’est jamais sûr de rien. À tel point que ces lignes pourraient devenir obsolètes dès samedi, si jamais l’imprévisible génie choisissait par exemple de changer à nouveau le titre de son album, voire d’en annuler tout simplement la sortie. Ce qui serait tout de même peu probable, au vu de la campagne de pub éclair de la finale NBA et des confirmations qui continuent de se multiplier dans l’entourage du rappeur. Néanmoins, restons prudents.
Pourtant déjà diffusé lors d’une «listening party» privée dimanche, où les téléphones portables étaient soigneusement confisqués à l’entrée, on ne sait encore pratiquement rien de Donda, si ce n’est que son titre est un hommage à la mère du rappeur, Donda West, décédée en 2007. De son propre aveu, Kanye West ne s’est jamais remis de la perte de sa mère, décédée après une opération et déjà affaiblie par une maladie cardiaque. Pour accoucher de cet album qui lui est dédié, «Ye» a dû passer par un véritable chemin de croix, dont on veut croire que les frasques de ces dernières années n’étaient qu’un chemin vers une rédemption certaine. La liste, pourtant, est longue : soutien de Donald Trump, crise de foi qui l’amène à vouloir arrêter le rap, «musique du diable», pour devenir chantre du gospel (avec trois albums néanmoins superbes), sorties racistes et pro-esclavage, un meeting politique tristement mémorable qui s’est soldé par une crise de larmes et, plus récemment, son divorce de Kim Kardashian. La bipolarité diagnostiquée de Kanye West a beau lui servir d’avocate, c’est à se demander comment il n’a pas encore été visé par la fameuse «cancel culture».
Changement de direction
Il se peut toutefois qu’à 44 ans, et avec la sortie de Donda – qui marquera, donc, son retour au rap –, West se soit laissé guider par sa foi… et aussi par quelques médecins spécialisés. Que le passé reste le passé, donc, et que les dix titres (supposés) de l’album forment un nouveau voyage musical, peut-être le plus personnel de tous. Sous les auspices de sa mère, seule véritable église, parmi toutes celles qu’il a fréquentées, occupées ou construites, qui le fait se sentir vraiment chez lui. Une figure sainte pour Kanye West, qui mêlera sans aucun doute la religion à ses textes, bien que celle-ci ait toujours été présente dans sa musique, depuis son tout premier single, Jesus Walks, en 2004.
Malgré son annonce-surprise et son arrivée imminente, Donda a de quoi créer l’attente, anticipant un nouveau changement de direction pour Kanye West. On ne s’attendra donc pas à y entendre Wash Us in the Blood, single fou aux accents toujours gospel et avec la présence de son (désormais ex) beau-frère Travis Scott, sorti l’année dernière pour annoncer la première version de l’album. La nouvelle «hype» a été aussi soufflée par des vents indiscrets, qui ont maintenu que Travis Scott serait bel et bien présent sur ce dixième album, avant d’amener d’autres noms d’artistes invités : les révélations Don Toliver, Playboi Carti et Lil Baby, l’ami de toujours Pusha T, les stars Future, Post Malone et – vu en studio avec West il y a quelques jours à peine – Tyler, The Creator. À la tête de cette nouvelle arche de Noé, guidé par la foi et l’assurance d’un succès, Kanye West n’a pas à craindre le déluge…
Valentin Maniglia