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Au Bénin, une « école de la deuxième chance » pour enfants déscolarisés


Félix, un Béninois de 17 ans, n’a jamais été inscrit dans une école et travaille depuis plusieurs années dans un atelier de couture. Mais depuis 2012, il bénéficie de cours gratuits dans le cadre d’une « école de la deuxième chance », une initiative visant quelque 700 000 jeunes non scolarisés ou déscolarisés à travers son pays.

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Azizath a quitté l’école à l’âge de huit ans, au décès de son père. Elle a été inscrite au Programme de cours accéléré par un oncle. (Photos : AFP)

« Avant d’aller à l’école, j’étais comme les gens qui sont morts, parce que je ne savais pas lire et écrire. Mais aujourd’hui, je sais. Et je suis content », dit Félix Ayededjou, un des 18 élèves du Programme de cours accéléré (PCA) de Pobè, commune rurale de 150 000 habitants dans le sud-est du Bénin.

Ces cours permettent à des jeunes de 10 à 17 ans hors système scolaire de recevoir en trois ans une formation en français et en mathématiques équivalente à celles des six années de l’enseignement primaire. La classe de Félix, aménagée dans une salle municipale, accueille les élèves tous les matins de 08h00 à 12h00, ce qui leur permet d’être libres les après-midis pour leurs occupations professionnelles. La couture, dans le cas de Félix, auparavant analphabète comme ses trois frères et soeurs.

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L’adolescent a été inscrit aux cours il y a deux ans et demi par son patron, Denis Omolekan. « Moi, j’ai eu la chance d’aller à l’école, je parle français, pas seulement yoruba ou goun (langues du Bénin), ça m’a permis d’évoluer », explique-t-il.

Séance de calcul mental en classe. Félix est le premier à lever l’ardoise. Résultat juste. C’est un peu plus difficile pour sa camarade Azizath Boussari, 17 ans, également apprentie dans un atelier de couture, qui plisse le front.

A l’inverse de Félix, Azizath a déjà été scolarisée mais elle a quitté l’école à l’âge de huit ans, au décès de son père. Elle a été inscrite au PCA par un oncle, qui lui a également trouvé du travail à l’atelier où, avec huit autres jeunes, elle coupe et coud des pagnes bariolés. « J’aime coudre et j’aime aussi apprendre. Comme j’ai dû arrêter l’école tôt, je ne connais rien », murmure-t-elle, timide.

Pourtant, l’adolescente rattrape vite son retard, confie sa patronne, Irène Fakambi, voyant dans le PCA un double intérêt : « Une fille qui est allée au collège comprend vite et apprend le métier en deux ans » contre cinq pour les non scolarisées, « l’éducation, c’est important, surtout pour les femmes ».

Les parcours de Félix et d’Azizath ne sont pas des cas isolés au Bénin, pays de quelque 9,9 millions d’habitants dont plus de 43% ont moins de 15 ans, selon des chiffres officiels. Même si le taux de scolarisation y a progressé – de 82,7% en 2007 à 98% en 2013 – une étude du ministère des Enseignements maternel et primaire montre que 700 000 adolescents y sont non scolarisés ou déscolarisés.

Faute de moyens, certains parents préfèrent souvent envoyer à l’école les garçons plutôt que les filles, confinées aux travaux domestiques, activités génératrices de revenus ou mariées de manière précoce, entre autres pesanteurs sociales. Le frère aîné d’Azizath, Marouf, 21 ans, a ainsi pu aller normalement à l’école et finira bientôt ses études de journalisme à Savalou (nord-ouest).

> « Résistances des parents »

Au Bénin, l’enseignement public primaire est gratuit mais les familles doivent payer uniforme, fournitures et repas. Une charge dans le cas de fratries nombreuses dans ce pays majoritairement pauvre.

C’est pour pallier ces insuffisances que le premier PCA a été ouvert en 2012 à Pobè avec un partenariat entre la mairie, le ministère des Enseignements maternel et primaire et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). Aujourd’hui, le pays en compte 56 répartis dans 27 communes où sont scolarisés 2 500 jeunes, d’après l’Unicef.

Même si cela représente pour l’instant peu de bénéficiaires à l’échelle du pays, le programme est salutaire, affirme Victor Goudjo, enseignant retraité qui intervient pour le PCA. « Les élèves ont beaucoup de volonté, ils se mettent vite au travail. A cause de leur âge et de leur vécu, ils sont plus mûrs que les autres. C’est passionnant ! », déclare Victor Goudjo. Félix montre le même enthousiasme pour son école de rattrapage et espère pouvoir allier cours et couture.

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Azizath souhaite poursuivre ses études pour « devenir docteur ».

Parce que même si le PCA offre aux jeunes déscolarisés une seconde chance d’aller à l’école, le succès n’est pas garanti pour autant, note le maire de Pobè, Saliou Akadiri, ancien diplomate. Selon lui, « il y a des résistances des parents » craignant que l’école ne « compromette » le travail de leurs enfants. « L’école de la deuxième chance est exigeante, surtout pour les apprentis. C’est dur de tout concilier. Certains, comme les mécaniciens, ont du mal à quitter l’atelier et ils sont irréguliers », avance Sero Bagri, spécialiste en éducation à l’Unicef.

AFP