Le 5 août 2024, des centaines de manifestants brandissaient des drapeaux sur le toit du palais de l’ex-Première ministre du Bangladesh Sheikh Hasina. Un an après, il s’apprête à devenir un musée dédié à la révolte qui a conduit à sa chute.
«Le palais Gonobhaban est un symbole du fascisme, un symbole d’un régime autocratique», affirme Mosfiqur Rahman Johan, 27 ans. Ce photographe et documentariste, également militant des droits humains, était parmi les milliers de manifestants qui ont pris d’assaut la luxueuse résidence le 5 août 2024. Ils l’ont envahie quelques heures après la fuite de la dirigeante en hélicoptère en Inde, au terme de plusieurs semaines de violentes émeutes. Ce qui était il y a encore un peu plus d’un an une résidence luxueuse hautement sécurisée est aujourd’hui en grande partie délabrée, mais sa transformation en un musée de la révolution «permettra de visualiser et symboliser les traumatismes et les souffrances passées ainsi que la résistance», souligne-t-il.
Le règne de Sheikh Hasina (2009-2024) a été marqué par de nombreuses violations des droits humains, notamment des détentions arbitraires et des exécutions extrajudiciaires d’opposants politiques. Selon l’ONU, au moins 1 400 personnes ont été tuées l’été dernier lors des violents affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants. Éxilée en Inde, elle est jugée par contumace par un tribunal du Bangladesh pour avoir ordonné la répression meurtrière des manifestations étudiantes.
Le 5 août dernier, des milliers de manifestants antigouvernementaux ont pris la résidence d’assaut, s’emparant de chaises, renversant des meubles ou brisant des portes vitrées. D’autres ont même nagé dans le bassin où Sheikh Hasina se baignait. Le sol du bâtiment en grande partie décrépi est désormais jonché de gravats et de morceaux de verre. Des dizaines de graffitis couvrent ce qu’il reste des murs. «Dictatrice», «Hasina assassin», peut-on notamment lire parmi ceux conservés pour la postérité.
Quand la dictature tombe, sa Mecque doit partir aussi
Pour le chef du gouvernement provisoire du Bangladesh, Muhammad Yunus, 85 ans, sa conversion en musée doit permettre de «sauvegarder les souvenirs de sa mauvaise gouvernance et la colère du peuple quand il l’a renversée». Cette résidence avait été construite par le père de Sheikh Hasina, Sheikh Mujibur Rahman, qui a dirigé le pays de 1971 à 1975. Sa fille en avait fait sa résidence officielle pendant ses 15 ans de règne.
Tanzim Wahab, le conservateur de ce nouveau musée encore en construction, explique que les expositions comprendront des artefacts des manifestants tués. Leurs parcours de vie seront racontés à travers des films et des photos. Le nom des victimes des forces de sécurité sous son règne sera gravé sur des plaques. «Le véritable objectif du musée est rétrospectif, il reviendra sur les longues années de mauvaise gouvernance et d’oppression», a-t-il souligné.
Les visiteurs pourront notamment y trouver des animations et des installations interactives ainsi que des documents décrivant les minuscules cellules où les opposants étaient détenus. «Nous voulons que les jeunes (…) y voient une plateforme pour discuter des idées démocratiques, de nouvelles réflexions et de la façon de construire un nouveau Bangladesh», souligne-t-il. Son objectif fait écho à la volonté affichée depuis un an par le prix Nobel de la paix, Muhammad Yunus, de renforcer la démocratie et d’organiser des élections générales en avril 2026.
Mais l’ampleur de la tâche demeure immense, avait averti l’ONG Human Rights Watch (HRW) à la veille du premier anniversaire de la révolution, également jour de l’inauguration du musée. «Le gouvernement intérimaire semble bloqué, jonglant avec un secteur de sécurité non réformé, des extrémistes religieux parfois violents et des partis politiques qui semblent plus focalisés sur (la manière) de se venger des partisans de Sheikh Hasina que sur la protection des droits des Bangladais», a estimé HRW.
Si le palais reste en grande partie préservé, les manifestants ont démoli de nombreux symboles de son règne. Les statues du père de Sheikh Hasina ont été renversées et les portraits des deux ex-dirigeants déchirés et brûlés. La maison-musée de Sheikh Mujibur Rahman, le premier président du Bangladesh, a notamment été rasée par une pelleteuse. «Quand la dictature tombe, sa Mecque doit partir aussi», affirme Muhibullah Al Mashnun, qui a pris part à cette destruction. Cet étudiant de 23 ans estime que retirer de tels symboles était nécessaire pour que le Bangladesh avance vers un avenir meilleur.