Au départ projet médico-éducatif avec des autistes, Astéréotypie est devenu un groupe de rock à part entière, qui a enflammé les Trans Musicales de Rennes.
Le public des Trans Musicales exulte au couplet «Ce qui me met en colère, c’est qu’il y a des gens qui disent que je suis fou». En deux albums – L’Énergie positive des dieux (2018) et Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme (2022) – et des concerts enflammés, comme à Rennes dans la nuit de jeudi à vendredi, ils font bouger les lignes et décollent l’étiquette du handicap. «Sur disque, les gens qui ne connaissent pas leur histoire entendent juste des chanteurs qui donnent tout, s’extériorisent, dépassent un cadre normatif, comme ça se fait dans le punk», commente François Moreau, journaliste aux Inrockuptibles. «Un de leurs morceaux, Colère, parle d’une pression sociale que tout le monde peut ressentir, avec des mots dont je suis hyper jaloux, j’aimerais être aussi clair et efficace», poursuit-il.
«Il y a un alignement des planètes, le regard est en train de changer entre Astéréotypie, le film et Le Papotin», raconte Christophe L’Huillier, ex-éducateur spécialisé aux origines du projet et guitariste du groupe. Le film, c’est L’Énergie positive des dieux, de Laetitia Møller, sorti en septembre au cinéma en France. Ce documentaire suit sur la longueur Astéréotypie. On y voit notamment l’arrivée de Claire Ottaway, seule femme parmi les chanteurs (ils sont plusieurs à se relayer à l’écriture des textes et au micro sur disque et sur scène).
« Je suis motivée par les répétitions »
Cette jeune adulte autiste a fait la connaissance il y a quatre ans de Christophe L’Huillier au sein du comité de rédaction du Papotin. Ce «journal atypique» créé en 1990 accueille des journalistes non professionnels à troubles autistiques et s’est récemment décliné à la télévision, avec Les Rencontres du Papotin, émission diffusée sur France 2 et qui connaît de beaux succès d’audience.
Quand on croise Claire Ottaway et Christophe L’Huillier à Paris, juste avant les Trans Musicales, Le Papotin vient de mettre en boîte une rencontre avec Emmanuel Macron pour diffusion ultérieure. Ils ne veulent rien en dévoiler, concentrés sur le concert des Trans Musicales. «Je suis motivée par les répétitions, le boulot sur les balances (NDLR : réglages des instruments et voix avant un concert)», confie Claire Ottaway. Elle l’est aussi par le show, déboulant sur scène à Rennes en robe-pull rose bonbon et attributs d’elfe dans les cheveux.
L’écriture intuitive, c’est devenu un énorme terrain de récré, on ne se met plus aucune limite
Toujours dans «l’idée d’après», elle fait sans cesse bifurquer l’interview vers ses autres textes en réserve. Message destiné à Christophe L’Huillier, pas dupe : «On en discutera avec le groupe», sourit-il. C’est elle qui a écrit le morceau titre de leur deuxième album, Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme, et le chante évidemment sur scène et sur disque. Les textes sont écrits par les chanteurs du groupe, à partir de leurs idées et de leurs «punchlines» lâchées en répétition avec les autres musiciens (sans troubles autistiques, eux, qui viennent en partie du groupe parisien de country et de blues Moriarty).
Des influences variaes
Interrogée sur ses influences, Claire Ottaway lâche en rafale : «Les mangas, les bandes originales de films comme Titanic, les musiques du Puy du Fou, Avril Lavigne, Céline Dion, les ballets comme Le Lac des cygnes de Tchaïkovski, La Bayadère, Sylvia ou la Nymphe de Diane…» Astéréotypie sonne surtout comme un groupe du nord de l’Angleterre, entre guitares furibardes et parlé-chanté-crié. «On ne les programme pas parce qu’ils sont autistes. Ce qu’on veut, c’est que ça ait de la gueule, que ça rentre dedans, et c’est le cas», acquiesce Jean-Louis Brossard, patron des Trans Musicales.
Au départ, le son d’Astéréotypie était plus feutré. Mais devant «le décalage entre la musique intimiste et le charisme dégagé par nos chanteurs, on est passé au tout électrique», déroule Christophe L’Huillier. «On assume l’écriture intuitive, c’est devenu un énorme terrain de récré, on ne se met plus aucune limite», conclut le guitariste.