La centaine d’œuvres de Victor Vasarely saisies l’année dernière par le FBI à Porto Rico continue de nourrir une longue saga judiciaire en France, opposant la belle-fille du plasticien à son petit-fils.
Une affaire, instruite à Paris, porte le nom de Victor Vasarhelyi, dit Vasarely (1906-1997), créateur franco-hongrois de l’op art et de la peinture cinétique. De son vivant, l’artiste, dont la notoriété a été comparable à celle de ses contemporains Pablo Picasso ou Salvador Dalí, a donné à titre inaliénable des centaines d’œuvres à la fondation du même nom ouverte en 1971 à Aix-en-Provence. Ses œuvres aux couleurs vives inondaient alors la culture populaire : sur des montres, des verres, la pochette de Space Oddity (1969) de David Bowie, le losange de Renault…
Depuis le décès de Victor Vasarely en 1997, son petit-fils Pierre, actuel président de la fondation, s’oppose à sa belle-mère et ex-présidente de la fondation, Michèle Taburno-Vasarely. Le premier accuse la seconde d’avoir dilapidé la fondation à son profit, en s’exilant aux États-Unis avec de multiples œuvres. L’affaire n’est «en rien pénale», estime l’un des avocats de Michèle Taburno, Jean-Jacques Neuer : elle se résume à une «passion triste entre un beau-fils et la seconde femme de son père». «Ce n’est pas du tout une histoire de succession», rétorque Juliette Lévy-Bissonnet, conseil de Pierre Vasarely et de la fondation, «les questions posées à la justice relèvent ici exclusivement du droit pénal et visent notamment à retrouver le patrimoine de la fondation dispersé dans le monde entier».
«Simulacre» et fondation de façade
Au commencement de l’affaire était un arbitrage. En 1995, le conseil d’administration de la fondation, alors présidée par Michèle Taburno, vote le principe d’un arbitrage, qui conclut que Victor Vasarely aurait donné trop d’œuvres à la fondation et lésé ses fils. Près de 400 œuvres sont donc retirées à la fondation pour les partager entre les héritiers. Mais cet arbitrage a été définitivement annulé par la justice civile en mai 2014 : la cour d’appel de Paris l’a comparé à «un simulacre mis en place par les héritiers Vasarely pour favoriser leurs intérêts». Surtout, Michèle Taburno est soupçonnée de conflits d’intérêts : l’accusation estime qu’elle a caché son mandat pour gérer ou vendre les œuvres de Victor Vasarely, ce qu’elle conteste.
Quelles conséquences pour les œuvres? L’annulation de cet arbitrage «s’est uniquement prononcée sur la régularité de la procédure», fait valoir Julia Minkowski, l’un des conseils de Michèle Taburno. «La répartition des œuvres en elle-même n’a pas été examinée. Aujourd’hui, personne ne peut affirmer que Michèle Vasarely détiendrait irrégulièrement des œuvres par le biais de l’arbitrage», insiste l’avocate. Un arbitrage peut être annulé au civil s’il y a soupçon de partialité d’un arbitre. Une condamnation pénale requiert de prouver des manœuvres frauduleuses.
L’information judiciaire en cours, ouverte après la plainte en 2009 d’un administrateur provisoire de la fondation, a abouti à la mise en examen de quatre avocats et du notaire de la famille en 2018. Michèle Taburno, 83 ans et principale suspecte, a été mise en examen en avril 2023 pour abus de confiance et blanchiment. Lors d’une spectaculaire perquisition, la police fédérale américaine (FBI) a saisi 112 tableaux dans une fondation qu’elle a créée à Porto Rico.
Dans un rapport aujourd’hui contesté par la défense, un expert a dénoncé les «conditions de stockage peu respectueuses ni professionnelles» des œuvres et estimé que la fondation «ne ressemblait aucunement à une fondation destinée à la promotion de l’œuvre de Victor Vasarely».
Œuvres mal conservées
Depuis plus d’un an, Michèle Taburno se bat pour récupérer ses œuvres. Mais le 4 juillet, la cour d’appel de Paris a jugé les saisies du FBI «parfaitement proportionnées». «Leur objectif est de préserver ces œuvres (…) alors qu’il est démontré (…) que (Michèle) Taburno a vendu un certain nombre de tableaux et qu’elle n’assure pas (leur) conservation», tranche une décision de la cour. Par ailleurs, «les magistrats instructeurs» ont justifié la saisie des œuvres pour procéder à leur «transfert vers la France», car elles constituent «des éléments de preuve».
Michèle Taburno a toutefois obtenu gain de cause sur un point : l’annulation d’une audition d’août 2022, pour vice de procédure. Un «premier pas» vers l’annulation totale du dossier, a avancé sa défense, qui s’est pourvue en cassation. D’après plusieurs sources proches du dossier, la belle-fille de l’artiste conteste aussi le rapatriement des œuvres devant la justice américaine, qui n’a pas encore tranché.