Pendant les vacances de Pâques, Le Quotidien s’intéresse à l’art public à travers une série rédigée par des spécialistes choisis par l’Association des artistes plasticiens du Luxembourg. Aujourd’hui, Marianne Brausch, architecte en charge des relations extérieures du Fonds Kirchberg et de l’art dans l’espace public au Kirchberg, place l’art public dans un «environnement particulier», et ce, à travers une œuvre de Bert Theis.
« C’est une œuvre posée dans un environnement particulier, la place de l’Europe. Pour qui sait regarder autour de soi, sentir les tensions entre les bâtiments alentours, leurs différences formelles, de matériaux, bref, lire l’espace, c’est un endroit passionnant. Je vais essayer de montrer ci-dessous que des lieux imparfaits peuvent être enrichis par une œuvre, interagir avec elle, si celle-ci est suffisamment forte.
Voici l’histoire de l’ European Pentagone Safe & Sorry Pavilion de Bert Theis. Le Fonds Kirchberg a « hérité » de l’œuvre qui avait été conçue pour et exposée sur le toit du Palais des Beaux-Arts à Bruxelles, lors de la présidence luxembourgeoise de l’Union européenne en 2005. Installé sur sa plate-forme, en équilibre précaire sur le toit, on voyait à ses pieds le centre de Bruxelles.
Plutôt que de mettre cette pièce en dépôt (démontée, oubliée), il fut suggéré au Fonds de l’installer dans l’espace public du Kirchberg en 2007. Rappelons que parmi les missions du Fonds Kirchberg figure un programme d’art dans l’espace public. Contrat fut donc passé entre le ministère de la Culture (rendons ici hommage à Guy Dockendorf à l’origine de cette idée), propriétaire de l’œuvre, et le Fonds Kirchberg, son nouveau dépositaire. Fort Knox à Luxembourg… Le Kirchberg étant en quelque sorte le « plateau » idéal pour la réinstallation, à Luxembourg, de l’œuvre ironico-critique de l’artiste contestataire Bert Theis, le Fonds se prêta au jeu.
David contre Goliath
On réfléchit au lieu d’installation : au bord de la place de l’Europe, juste au point haut de la descente vers le Mudam, sembla être l’endroit idéal. Entre le monde institutionnel de la place de l’Europe et son pavement noir et celui de l’art, dans l’écrin verdoyant au pavement blanc du parc Dräi Eechelen. Sauf que les pompiers ne nous donnèrent pas leur accord, pour cause d’obstacle sur la voie d’accès d’urgence au musée.
C’est ainsi que l’endroit d’implantation actuel trouva l’accord de tous : entre le vieux bâtiment Robert-Schuman et sa masse rectangulaire, la forme ovoïde de la Philharmonie et le rythme serré de sa colonnade blanche; au-delà de l’avenue Kennedy, l’ensemble impressionnant orangé de la Cour de justice de l’Union européenne et ses tours dorées avec, à l’avant-plan, la pâleur bleutée et un peu froide des tours de verre de la Porte de l’Europe.
La plate-forme de bois sur laquelle l’ European Pentagone Safe & Sorry Pavilion est édifié rappelle l’installation originale sur le toit des Beaux-Arts de Bruxelles. On peut y voir quelques personnes s’y installer pour manger leur sandwich à l’heure du déjeuner. Bert Theis aime les « œuvres bancs » comme le montrent ses installations au Mudam voisin ou dans le parc du Domaine de Chamarande près de Paris.
Mais malheureusement, la lecture de Safe & Sorry , sur fond de ciel variable, lors d’un séjour à l’intérieur du pavillon n’est pas possible. L’accès libre a cédé le pas à la peur du vandalisme… Et le potentiel d’enseigne culturelle n’a à ce jour jamais servi aux institutions environnantes non plus. Une utilisation annuelle a, elle, ma sympathie : les scouts font usage du lieu comme point d’information et de relais à l’occasion d’un rallye (!). Référence à la cabane ou au tipi oblige? Répondent-ils ainsi spontanément à l’injonction « politico-plastique » de cet artiste agitateur social? Le débat est ouvert…
Revenons pour finir à l’emplacement de l’ European Pentagon Safe & Sorry Pavilion . Il est formidable! Un petit objet, une quasi-architecture est posée là, dans un environnement de géants, aux formes ultrapensées. L’observateur attentif et sensible à l’espace verra dans cette confrontation l’illustration même du titre de l’œuvre de Bert Theis – et du rôle que peut avoir une œuvre d’art dans l’espace public : c’est, et pourquoi pas, l’illustration de la lutte de David contre Goliath. »
Marianne Brausch