Pendant les vacances de Pâques, Le Quotidien s’intéresse à l’art public à travers une série rédigée par des spécialistes choisis par l’Association des artistes plasticiens du Luxembourg. Aujourd’hui, Paul Rauchs (psychiatre et «artmateur») se concentre sur «L’art dans l’espace public, autour du respect et du vandalisme».
Les fresques de Giotto dans la basilique de Saint-François d’Assise sont de l’art public, tout comme les cantates de Bach et les lions de Trémont devant la mairie de Luxembourg. Les tags sur les rames de métro sont publics, mais sont-ils de l’art ? La sculpture Puzzle, de Liliane Heidelberger, dans feu la ZithaKlinik est de l’art public, tout comme, dans une certaine mesure, l’art-thérapie pratiquée par les patients de cette même clinique. Et si on dit que la médecine est un art, le médecin est-il pour autant un artiste public ? Inversement, le street art accroché aux cimaises des galeries et musées, est-ce toujours de l’art public ? L’art public est multiple, comme les hommes et comme les races. Revenons sur un fait divers de l’été 2014 pour réfléchir sur le statut de cet art étrange.
Rappelez-vous, ce fut tout près de chez nous, à Hayange. Fabien Engelmann, le maire Front national, faisait repeindre en bleu (marine) la sculpture La Fontaine de l’artiste Alain Mila qu’avait achetée les édiles socialistes précédents et qui trônait sur la place centrale de la ville. Que voulez-vous, quand l’art s’installe dans l’espace public, il appelle souvent le vandalisme. Il suscite l’agressivité du public comme de ses édiles et de leurs zélateurs.
On se souvient encore des bien-pensants qui voulaient déloger la Gëlle Fra de Sanja Ivekovic, qu’ils accusaient de vandaliser à son tour l’œuvre de Cito ou ces calotins qui voilaient une Nana de Niki de Saint Phalle au passage de la Procession finale de l’Octave. Mais ce n’est pas que chez les provinciaux que ces choses se produisent : l’artiste américain Paul McCarthy se faisait physiquement agresser en installant son Tree en forme de plug anal sur la place Vendôme en plein Paris. Mais revenons à Hayange. La justice l’ayant contraint à remettre l’œuvre en état, Engelmann s’est résolu à «la déplacer dans un parc de la ville. De toute façon, tout le monde la trouve affreuse.» «Elle était rouillée», ajouta même un porte-parole du maire. L’artiste lui-même, excédé, suggéra au maire de l’offrir à une autre ville.
Ce vocabulaire et ces comportements, de part et d’autre, ne sont pas sans rappeler le problème actuel des réfugiés. Considérés comme affreux et, sinon rouillés, du moins roués et basanés, ils sont déplacés et refilés au voisin. La jungle de Calais et les tractations avec la Turquie répondent en écho au fait divers de Hayange.
L’artiste, comme l’étranger, attire la haine de ceux qui se sentent, souvent à raison d’ailleurs, exclus de l’éducation, des richesses et des codes des nantis. Pour ceux-là, l’artiste contemporain et public est au peintre classique ce que le juif et l’Arabe sont à l’étranger, le summum de la haine.
L’artiste veut et doit déranger
Mais arrêtons là ce parallèle de la honte, car l’artiste veut et doit déranger là où l’étranger veut simplement se ranger. Il est vrai que dans l’espace public, l’art devient franchement provocateur. Il n’y est pas à sa place (comme s’il pouvait l’être quelque part), il émigre de son pays natal, le musée ou le salon bourgeois, pour devenir immigré sur la place publique. Les badauds de la place deviennent alors des spectateurs malgré eux, comme ils deviennent les hôtes des immigrés malgré eux. Ils se sentent littéralement «artcelés», pris en otage par l’artiste autant que par l’étranger et ils se voient confrontés, eux les autochtones, à l’altérité.
Ils ne comprennent pas le message de l’artiste comme ils ne supportent pas les «odeurs» des immigrés. L’art, décidément, leur est étranger et l’artiste toujours un étrange étranger.
Plutôt que se mettre en question, ils préfèrent alors mettre l’œuvre en pièces et deviennent alors littéralement des iconoclastes, comme en leur temps les protestants face à la contre-réforme, et comme aujourd’hui les talibans, combattants de Daech et les fonctionnaires trop zélés. Et comme chantait déjà à peu près le regretté Brassens : «Les culs peureux qui détricotent l’art public, art public, art public, ont des sales gueules peu sympathiques.»
De notre collaborateur Paul Rauchs
Je compare le FN et cela sans avoir peur de me tromper aux criminels physique et culturel aux combattants de Daech .