L’artiste contemporain français parmi les plus importants de l’époque est de retour au musée. Après dix ans sans expo en France, Jean-Michel Othoniel s’est installé au Petit Palais, à Paris, avec «Le théorème de Narcisse», un évènement.
Il se présente créateur de beauté. On dit qu’il a fait le choix de la liberté. Un jour, il a expliqué que «réenchanter la vie est un acte poétique et politique». Ces temps-ci, hasard du calendrier et conséquences de la pandémie causée par le covid-19, Jean-Michel Othoniel fait doublement l’actualité culturelle d’en France. Ainsi, après y avoir été élu en 2018, il a enfin été accueilli sous les lambris de l’Académie des Beaux-Arts. Pour l’occasion, paré de son habit vert orné de palmes d’or, il a fait fabriquer une épée lame en obsidienne, poignée en fonte, si lourde qu’elle est «importable».
Ainsi, on le retrouve également en bas des Champs-Élysées, au Petit Palais, pour son exposition joliment intitulée «Le théorème de Narcisse». Si Versailles lui avait demandé en 2015 trois œuvres installées de façon pérenne pour les jardins du Château, Paris l’avait oublié depuis «My Way», une grande rétrospective au Centre Pompidou en 2011, ce qui n’a pas empêché Othoniel d’être présent et d’exposer à travers le monde : États-Unis, Japon ou encore en juin dernier au Canada…
À 57 ans, né à Saint-Étienne, il trimballe toujours ses allures d’étudiant sage. Diplômé de l’École nationale supérieure d’arts de Cergy-Pontoise en 1988, il se fait remarquer en 1992 lors de la Documenta de Cassel (Allemagne) où il expose des sculptures en soufre. À l’époque, il confie vouloir privilégier «les matériaux aux propriétés réversibles, par goût pour les métamorphoses, sublimations et transmutations».
Quelques années plus tard, en 2000, il honore sa première commande publique : transformer la station de métro parisienne Palais Royal-Musée du Louvre en un «Kiosque des noctambules», deux couronnes de verre et d’aluminium qui dissimulent un banc destiné aux rencontres fortuites dans la ville. Depuis, comme le chante Marc Lavoine, «devant la station d’Othoniel, les gens sont comme des hirondelles». Malgré les cris d’orfraie de ses détracteurs (et ils sont nombreux!), Jean-Michel Othoniel signait là sa première carte de visite.
Le Petit Palais était un lieu conçu pour émerveiller les gens en 1900. J’avais envie de réactiver cet émerveillement
Et nous voilà, visiteurs d’un jour, au Petit Palais, monument construit pour l’Exposition universelle de 1902 par l’architecte Charles Girault. «Le théorème de Narcisse» pour promesse. Premier étonnement, premier choc : l’escalier majestueux devant la grande grille dorée recouvert d’une rivière enchantée en briques de verre bleu qui n’est pas sans évoquer le chemin pavé du Magicien d’Oz. Commentaire de l’artiste : «Cette idée de mettre en scène le bâtiment, en dialoguant avec la grille dorée, forme une invitation à entrer. Je viens chercher le public dans la rue et je l’accompagne sur un tapis bleu, qui le met lui-même dans une position d’acteur de cette exposition. Le Petit Palais était un lieu conçu pour émerveiller les gens en 1900. J’avais envie de réactiver cet émerveillement, de redonner au lieu ce pouvoir qu’il avait à l’époque de faire rêver son public.» En écho aux mots de Jean-Michel Othoniel, nous résonnent ceux du chanteur et écrivain Gérard Manset : «Puisque la vie n’est pas ce qu’on nous fait croire / Mieux vaut le drap du désespoir alors / Ramenez le drap sur vos yeux, entrez dans le rêve…»
Oui, entrez dans le rêve. L’émerveillement. L’enchantement. On est au pays d’Othoniel l’enchanteur qui, confie-t-il, «travaille à partir d’un contexte». Bienvenue dans le monde – imaginaire, imaginé – de Narcisse et de son théorème. Début dans le jardin du Petit Palais et ses bassins d’eau, rythmé par des colonnes de marbre. «Les gens qui vont dans les jardins se plongent dans un état de contemplation. En s’abstrayant du monde. Aujourd’hui, nous vivons la même chose : ce retour à la nature, ce besoin de s’abstraire de la ville pour mieux y revenir», commente l’artiste. Là, un Gold Lotus. Là encore, des nœuds enlacés de perles miroir (Narcisse, bien sûr!). Ici, un collier d’or (aluminium, feuilles d’or et inox)…
Suite de la rêverie éveillée avec la Couronne de la nuit, suspendue au-dessus d’un escalier en spirale. Poids : 500 kilos, des perles en verre de Murano soufflés par des maîtres-verriers parisiens… Dans le sous-sol du musée, la Grotte de Narcisse avec l’Agora, sorte d’igloo en briques grises réalisées avec des souffleurs en Inde, pour les palabres… et aussi, une multitude d’œuvres en verre coloré, suspendues, posées au sol ou accrochées sur les murs. Des lieux avec perles tourbillonnantes pour emmener les visiteurs dans les contrées de la contemplation.
Je crois beaucoup à la force des œuvres d’art, qui nous permettent d’affronter le monde, de nous en abstraire, aussi, pour atteindre un état plus contemplatif
Présentant l’exposition tout en perles et briques de verre, évoquant ce Narcisse et le théorème, Jean-Michel Othoniel confiait : «Narcisse n’est pas l’homme-fleur névrosé se perdant dans son propre reflet, mais une invitation à la sublimation de soi et du monde au sein de leurs réverbérations dans une multitude de surfaces enveloppantes. Dans « Théorème« , il y a une référence pasolinienne évidente, et, du même coup, spirituelle. Je crois beaucoup à la force des œuvres d’art, qui nous permettent d’affronter le monde, de nous en abstraire, aussi, pour atteindre un état plus contemplatif. Cette beauté est un accès à la spiritualité, au sacré.»
Ultime surprise dans la pièce-hall du bas : les Nœuds sauvages, assemblage aussi impressionnant qu’éblouissant de perles rappelant l’ADN et l’infinité de ses possibilités. Assemblages nés depuis 2013, quand Othoniel a découvert la similarité des formes sur lesquelles il travaillait et celles issues des travaux mathématiques du scientifique argentin Aubin Arroyo. Encore Othoniel : «C’est une manière de renouer avec un certain idéal de la Renaissance où l’art et la science ne formaient qu’un même domaine.» Et d’ajouter : «La beauté, c’est l’imperfection.» C’est ainsi, tout simplement, que Jean-Michel Othoniel est le plus étourdissant des créateurs de beauté.
Jusqu’au 2 janvier 2022.
Petit Palais – Paris.
Serge Bressan