Samedi, le troisième Luxembourg Encouragement for Artists Prize (LEAP) a été décerné à l’artiste Hisae Ikenaga, dont les œuvres sont à découvrir aux Rotondes jusqu’au 29 novembre.
«Je ne vis pas à Luxembourg depuis longtemps et je crois que (ce prix) est une bonne opportunité pour que les gens découvrent mon travail», a-t-elle déclaré. Née à Mexico en 1977, la Mexicano-Espagnole Hisae Ikenaga s’est vu remettre samedi, aux Rotondes, le prix LEAP20 – initialement prévu au printemps mais reporté pour cause d’urgence sanitaire – qui met en avant la nouvelle scène artistique luxembourgeoise. Celle qui préfère s’exprimer en anglais a démarré son discours de remerciement par un éclatant «Villmols merci», assurant dans un élan d’émotion qu’elle ne s’était «pas préparée du tout» à recevoir ce prix.
Avec ses œuvres tridimensionnelles, l’univers déroutant de l’artiste, à la fois étrange et familier, a été salué dans un message vidéo par le président du jury, Alexandre Bohn (directeur du FRAC Poitou-Charentes), pour «la synthèse formelle proposée et (les) touches d’étrangeté et d’ironie introduites qui transgressent le minimalisme apparent». Le travail de Hisae Ikenaga utilise, en les repensant, des objets du quotidien : des étagères, des tables, des tabourets… L’artiste s’emploie à subvertir l’espace domestique en supprimant toute la dimension pratique des objets qu’elle fabrique, comme l’ont fait, avant elle, les minimalistes inspirés par Marcel Duchamp (Richard Serra, Dan Flavin). Mais l’œuvre ultraréférencée de Hisae Ikenaga va aussi chercher ailleurs, chez Marcel Breuer, Charlotte Posenenske, Brancusi, Frank Stella… Des inspirations digérées dans un travail remarquable qui convie en même temps le mode de production industriel et l’artisanat.
Labyrinthes tubulaires
Deux des œuvres exposées, Red-Walking Stick (2016) et White, Wood-Keys (2016), sont éminemment évocatrices du travail d’Ikenaga : à l’intérieur de la structure rectangulaire, faite de tubes de métal, sont fixées des tablettes de couleur qui ravivent le souvenir des iconiques tables en formica (qui ont fait partie du quotidien de l’artiste dans son enfance). Mais, outre les vides délimités par les pliures des tubes, les œuvres sont accrochées verticalement, ce qui leur ôte toute fonctionnalité. Au centre de l’espace d’exposition des Rotondes dédié à Hisae Ikenaga, l’imposante pièce Furnished Line II est un labyrinthe métallique où vient se poser une assise en cuir trop haute, comme un tabouret surélevé; sur une autre partie de l’œuvre, le tube dessine les contours d’une chaise longue que l’on ne devine que par la structure, qui entoure du vide.
Si cette période de crise sanitaire met les artistes dans une position difficile – comme n’ont pas manqué de le rappeler Steph Meyers, directeur des Rotondes, et Alex Reding, conseiller du prix LEAP et curateur de l’exposition – le travail de Hisae Ikenaga, qui fabrique de l’art à partir d’objets d’utilité domestique, résonne, non sans un certain humour, avec le confinement. L’artiste a d’ailleurs été interrogée à ce sujet : «Je ne sais pas si mon travail va changer, mais (la pandémie) aura sans doute une influence, oui», a déclaré celle qui est «toujours en train de manipuler des matériaux». Les œuvres de Hisae Ikenaga sont visibles dans l’espace d’exposition des Rotondes depuis hier et jusqu’à la fin du mois, tout comme celles des trois autres finalistes, Nina Tomàs, Suzan Noesen et le duo d’artistes Bruno Baltzer et Leonora Bisagno.
«LEAP20», jusqu’au 29 novembre (entrée libre).
Rotondes – Luxembourg.
La diversité des artistes mise à l’honneur
Le travail des quatre finalistes du LEAP20, exposé aux Rotondes, fait montre d’une grande qualité et de la diversité des artistes, autant dans les sujets que dans les techniques qu’ils utilisent. On entre dans l’exposition par la salle réservée au duo Bruno Baltzer et Leonora Bisagno, dominée par une photographie aérienne monumentale (400 x 280 cm) qui montre l’inscription «Si je me souviens» que les artistes ont gravée dans une carrière. Leur art conceptuel, symbolique et qui tire son inspiration de l’actualité éclate avec Les Pieds dans le plat, exposition sous vitrine d’un plat en porcelaine dans lequel sont imprimées les empreintes des pieds du lanceur d’alerte Antoine Deltour, à l’origine des LuxLeaks. Ou encore avec Ma è di tutti ! (2019), dans lequel le duo, qui s’est rencontré «en 2011 à Luxembourg», peint le drapeau anarchiste sur un coussin hydraulique en acier qui avait servi, à une autre époque, à arracher des blocs de marbre à Carrare (berceau du mouvement anarchiste en Italie) pour l’érection d’une statue à la gloire de Mussolini.
La Luxembourgeoise Suzan Noesen, elle, a créé «un espace dans l’espace» d’exposition réservé à ses œuvres intimistes, qu’elle réalise dans l’atelier installé dans la maison de sa grand-mère, où elle vit. Au centre, donc, une installation, DEBEST (Squatting Kit) (2018-2020), qui mélange peinture et vidéo, et autour, des œuvres qui lui répondent en «combinant les médiums», dont de la photo et de la vidéo, qui «confronte les espaces» en ayant aussi «un effet sur le temps». L’existence de l’œuvre, indépendante puis mise en relation avec d’autres, est également ce qu’a réalisé Nina Tomàs, dont on retrouve la trace du Miroir de l’écart (2020), mosaïque au sol, dans la peinture sur toile qui lui fait face, Femmes de Hampi (2019). Les couleurs de cette dernière œuvre se retrouvent aussi dans les urnes en céramique de Racines du ciel (2019), contribuant à entrelacer les liens entre des œuvres qui, mises en dialogue, forment un tout composé de fragments.
V. M.