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Arno, poète des bars et des bords de mer


Une voix atypique, une personnalité attachante et l'aura d'un artiste inclassable. Arno chantait la vie et ses turbulences comme personne. (photo AFP)

Le chanteur belge Arno, décédé samedi à 72 ans, chantait comme personne son Ostende natale, la poésie des nuits alcoolisées, les filles du bord de mer ou encore les yeux de sa mère.

Il était toujours une référence pour la nouvelle scène. Stromae, qui l’avait rejoint sur scène en début d’année, avait raconté leur lien. « J’ai entendu Putain putain, trop bien écrite, et j’en ai fait un remix. Je lui ai demandé s’il pouvait venir la chanter avec moi aux Trans Musicales de Rennes, pour mes premiers concerts en 2010″. « Il est venu, alors que c’est une légende, qu’il n’avait rien à gagner, alors que moi j’étais le mec d’un seul tube », confiait en mars Stromae.

Crinière blanche et voix rocailleuse, Arno était capable sur scène de parler à quelques minutes d’intervalle de « problèmes de zizi » et du peintre Léon Spilliaert (1881-1946), originaire de la même ville que lui, maître des ambiances entre chien et loup. Ses chansons charrient embruns marins par nuits étoilées ou relents des bières de comptoirs enfumés. Composée à l’origine par Salvatore Adamo dans les années 1960, Les filles du bord de mer est doucement ironique, sur un air de java. Reprise et popularisée par Arno, elle prend toute sa dimension canaille, salée comme la mer du Nord. Vêtu du même costume noir depuis des lustres, le Tom Waits belge se démarquait par son franc-parler, bousculant parfois la syntaxe française avec son accent flamand, pour décrire la complexité des émotions humaines. Ou faire rimer cholestérol avec rock’n’roll. Comme dans l’égrillard titre Les saucisses de Maurice, dont l’hymne-refrain a fait trembler les murs de bien des salles de concert.

« L’être humain m’inspire »

« C’est l’être humain qui m’inspire, avec toutes ces conneries qu’il fait, ses faiblesses… il tombe amoureux, il fait des guerres, il vote pour tel ou tel parti, il tombe malade et tout le bazar », avait-il partagé à la sortie de son album Human Incognito (2015). Globe-trotter – « je suis parti à Katmandou en stop quand j’étais jeune » – il a bien tenté de vivre à Paris, Amsterdam, Londres ou Copenhague, mais est toujours repassé par les cases Bruxelles et Ostende.

Né le 21 mai 1949 d’une famille de résistants et de syndicalistes, Arnold Charles Ernest Hintjens fut un humaniste et Européen convaincu. « Putain, putain/C’est vachement bien/Nous sommes quand même/Tous des Européens », scandait-il ainsi dans un titre phare de TC Matic, son groupe de rock des années 1980. « Je viens d’une génération où, quand j’étais jeune, tout était possible, the sky was the limit, racontait-il encore. Il y avait une révolte contre le système, la jeunesse se créait sa propre culture. Maintenant, il n’y a plus de révolte alors qu’il y aurait beaucoup contre quoi le faire ».

« Deux bars en faillite »

« Il n’y avait pas de crise et il y avait une vraie solidarité : je n’ai jamais fumé un joint tout seul ! », soulignait-il, goguenard en 2015. « On fumait un joint – ce que je ne fais plus – avec Marvin Gaye en promenade sur la plage à Ostende », précisait-il encore en 2019 à l’occasion de la sortie de son album Santeboutique (une expression pour dire « c’est bordélique »). « J’ai été son cuisinier pendant presque un an, c’était au début des années 1980 ». Marvin Gaye, figure de la Motown, en perdition, a alors besoin de fuir – ses problèmes de drogue dure, d’argent, de couple… – et débarque sur ce bout de côte de mer du Nord. « C’était un mec formidable, Marvin ».

Arno – qui fut aussi acteur dans quelques films – a surmonté une forme d’autisme et un bégaiement de jeunesse. Mais il est trop souvent tombé dans les bras de cette Lady alcohol chantée sur Santeboutique. Il avait révélé en février 2020 devoir se faire opérer d’un cancer du pancréas. Quelques jours plus tard, sur la scène du Trianon à Paris – dernière prestation avant son intervention chirurgicale – il n’avait qu’effleuré pudiquement le sujet. Avec humour comme d’habitude. « J’ai pas bu depuis trois mois, mon foie était en grève. Bon, deux bars ont fait faillite. »