Le drapeau de l’Union européenne flottant sur la place du minuscule village allemand de Gadheim, en Bavière, constitue le seul indice pour expliquer la venue de médias du monde entier dans ce coin perdu…
Une poignée de demeures sont nichées sur les collines de cette région viticole du sud de l’Allemagne, jalonnant une route bordée de champs où se dressent des éoliennes. En 2019, à la fin prévue des négociations de sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, les 89 habitants de Gadheim se retrouveront au centre géographique de l’UE, selon l’Institut Géographique National (IGN) à Paris.
La plupart ont appris la nouvelle à la radio, affirme Jürgen Götz, maire de Veitshöchheim, une commune proche. Gadheim est trop petit pour avoir un maire. « Nous avons pensé à un poisson d’avril », s’amuse l’édile, attablé à l’hôtel du village. Mais ses habitants sont fiers du coup de projecteur donné à leur région bucolique. Et ont déjà planté la bannière étoilée sur la place du village. « Mon mari a toujours dit que nous étions le centre du monde », plaisante Inge Diek, une villageoise. « Il existe une légende locale selon laquelle Dieu a embrassé la Terre une seule fois, à l’endroit où se trouve Veitshöchheim. Gadheim en fait partie », raconte Jürgen Götz. Les habitants de Gadheim ont même lancé un groupe WhatsApp pour s’amuser de leur renommée et signaler l’endroit.
Dans un champ de colza
La plus surprise d’entre eux est Karin Kessler, cheveux noirs, teint buriné dans ses habits de fermière : c’est précisément dans son champ de colza que le futur centre post-Brexit de l’Union européenne a été localisé. « Mais c’est dommage que cela se produise à cause du Brexit », commente-t-elle, regrettant la décision des Britanniques. Pour elle, l’un des avantages majeurs de l’UE est de traverser la frontière sans contrôle, comme lorsqu’elle se rend en France pour ses vacances. « Et puis, mon père a fait la Seconde guerre mondiale. Il était prisonnier de guerre en France. J’ai de bonnes raisons d’apprécier » l’UE conçue pour rassembler les ennemis héréditaires, explique-t-elle. Karin Kessler attend avec impatience le moment où le Brexit sera définitif, histoire de montrer à son père le drapeau qui flottera alors dans son champ pour marquer le centre de l’UE. Mais « si les Britanniques réfléchissaient à nouveau, alors je serais aussi heureuse… », assure-t-elle.
Un centre qui se déplace
Le centre de gravité de l’Union européenne est situé en Allemagne depuis le 1er mai 2004 et le passage de 15 à 25 pays membres, selon l’IGN. Auparavant, il aura été en Belgique pendant près d’une décennie. Mais depuis 2004, il a changé plusieurs fois de place sur le sol allemand. Quand la Croatie a rejoint l’UE en juillet 2013, c’est le village bavarois de Westerngrund, à environ 60 km au nord-ouest de Gadheim, qui a ainsi hérité de ce statut. Il le perdra avec la sortie de la Grande-Bretagne, au grand dam de sa maire, Brigitte Heim. Car depuis que le centre est ici, « ils savent à Munich, la capitale du Land, que Westerngrund fait encore partie de la Bavière… », raille-t-elle – bien que le dialecte des villageois et leur préférence pour l’Apfelwein (vin de pomme) les rattachent davantage à la Hesse voisine. Environ 6 000 personnes issues de 93 pays – y compris l’Australie et la Mongolie – ont signé le livre d’or de la commune, conservé depuis 2013 à l’abri sur une pelouse soignée et bordée d’une rangée de drapeaux : ceux de la ville, le canton, l’État régional, l’Allemagne et l’UE.
« Le Brexit est un pas en arrière »
« Nous pensions que les bus de touristes chinois déferleraient ici chaque semaine. Il n’en a rien été », regrette toutefois le boulanger local Christoph Biebrich, qui a conçu des pains en forme d’anneau avec un « nombril de l’UE » au centre. Il souligne que les locaux et les touristes de passage aiment pique-niquer à cet endroit, ou bien randonner à pied ou en VTT le long de la piste reliant Westerngrund… au précédent centre désigné de l’UE, situé dans la commune de Meerholz, à une quinzaine de kilomètres de là.
Les habitants de Westerngrund et de Gadheim font un vœu : celui que la prochaine fois, le centre de l’UE se déplace en raison de l’adhésion d’un nouveau membre et non d’un départ. « Le Brexit est un pas en arrière, ça ne peut pas continuer », juge Brigitte Heim. Et « bien sûr, nous espérons que la France n’empruntera pas le même chemin… », lance-t-elle, attentive à l’élection présidentielle voisine.
Le Quotidien/AFP