Une nouvelle production musicale d’un spectacle basé sur le journal d’Anne Frank a vu le jour aux Pays-Bas, pour ne jamais oublier l’histoire de l’adolescente juive qui doit être racontée aujourd’hui plus que jamais, selon la production.
Créée aux Pays-Bas, la pièce musicale Je Anne («Ta Anne») reste fidèle au récit d’Anne Frank qui, devenu célèbre dans le monde entier, raconte sa fuite face aux nazis à Amsterdam pendant la Seconde Guerre mondiale. La scène du Kennemer Theater (Beverwijk, au nord du pays) se compose uniquement d’une étoile de David en béton divisée en sections représentant les pièces de «l’annexe secrète», où la famille Frank et quatre autres personnes se sont cachées durant plus de deux ans. Les huit personnages quittent rarement l’étoile, perchés sur des bagages – leurs seuls biens matériels –, créant un sentiment de claustrophobie tout au long de la représentation.
Le producteur Mark Vijn, 56 ans, a encore la chair de poule en repensant aux quelques heures qu’il a passées dans l’annexe cachée derrière une bibliothèque tournante. «Nous n’y sommes restés que quelques heures, et eux deux ans. Et ils ne savaient pas qu’ils allaient rester là pendant deux ans», déclare-t-il.
Il rejette les critiques qui affirment qu’une production musicale est un support inapproprié pour une histoire aussi tragique. Au contraire, estime-t-il, l’émotion ressentie est encore plus forte et les comédies musicales attirent un autre public. «C’est la première production où la musique est utilisée pour raconter l’histoire. Nous l’avons fait avec de la musique parce que cela convient mieux à un public plus large, en particulier à un public plus jeune», explique Mark Vijn.
C’est l’histoire qui se répète, encore et encore
La comédie musicale, présentée pour la première fois samedi devant la salle comble du Kennemer Theater, est une reprise d’une production de 2010. C’est l’actualité qui a inspiré Mark Vijn. Les incidents antisémites aux Pays-Bas ont doublé l’année dernière, selon un récent rapport du CIDI, une organisation juive néerlandaise. Ils se sont multipliés dans le monde depuis le début de la guerre à Gaza, le 7 octobre 2023, déclenchée par une attaque sans précédent du Hamas contre Israël. «C’est l’histoire qui se répète, encore et encore. Nous ne devrions jamais oublier ce qui s’est passé à l’époque et c’est pourquoi nous recommençons», déclare-t-il.
Les émotions décrites par Anne Frank dans son journal sont retranscrites en chansons, avec des moments de bonheur entrecoupés de bruits de bombardements, de sirènes de police et des cris d’Anne, quand elle se réveille de ses cauchemars. La musique est parfois interrompue par des fragments radiophoniques où le sort des Juifs déportés des Pays-Bas vers les chambres à gaz devient de plus en plus clair.
La pièce se termine par un dernier passage puissant, où les personnages croient que la libération est imminente. Apprenant la nouvelle du débarquement allié en France, ils dansent en chantant «Enfin libres!», emballent leurs manteaux ornés d’étoiles jaunes et se préparent à quitter leur cachette. La chanson est interrompue par une sirène de police, la famille ayant été trahie et livrée aux nazis. Un par un, les personnages quittent la scène. L’acteur qui incarne Otto Frank, le père d’Anne qui fera ensuite publier le journal, lit à haute voix leur sort : «Mort à Auschwitz», «Mort à Bergen-Belsen». L’artiste qui incarne Anne est la dernière à quitter la scène.
Nous n’avons pas appris (du passé) et je ne pense pas que nous apprendrons un jour
Anne Frank a d’abord été déportée à Westerbork, camp de transit aux Pays-Bas, puis transférée à Auschwitz et à Bergen-Belsen, où elle est décédée du typhus à l’âge de 16 ans, en 1945. À la fin de la représentation, la seule chose qui reste sur scène est son journal intime. Le public, d’abord silencieux, se lève pour une longue ovation.
Dans la salle, Jean Westerling-Nelissen, 94 ans et née le même jour qu’Anne Frank, est plongée dans ses souvenirs. «C’est quelque chose que j’ai moi-même vécu», dit-elle, même si elle n’a pas été poursuivie par les nazis. Silvana Rocha, 22 ans, qui incarne Anne, a lu tout ce qu’elle pouvait sur la jeune fille dont le journal est considéré comme une mise en garde contre les dangers du totalitarisme. Anne serait «vraiment triste, bouleversée et déçue» par la récente montée de l’antisémitisme, observe-t-elle. «Nous n’avons pas appris» du passé «et je ne pense pas que nous apprendrons un jour», déclare la comédienne.
Mais beaucoup voient dans le journal d’Anne Frank une histoire d’espoir et de résistance. Si elle vivait à notre époque, Anne «se battrait simplement plus et resterait plus forte pour diffuser son message», estime encore Silvana Rocha. Quel est ce message? «Prenez soin les uns des autres, regardez autour de vous. Ne fermez pas les yeux. Ne soyez pas aveugle. Parce que vous pouvez le voir. C’est un choix de ne pas le voir», dit-elle. «Et il y a toujours de l’espoir.»