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Angleterre : le folklore au féminin


Les danses traditionnelles féminines trouvent un souffle nouveau en Angleterre. Pour s’en convaincre, il suffit d’assister à une compétition de carnival morris dancing, où petites et grandes se mêlent dans un esprit de fête et de cohésion sociale. Ambiance.

À l’intérieur de la salle de bal de Blackpool, dans le nord-ouest de l’Angleterre, lumières, paillettes, pompons et musique font oublier la pluie battante à l’extérieur. Des dizaines de femmes et fillettes s’échauffent avant la compétition de fin de saison de carnival morris dancing, danse populaire et mélange de cheerleading, de majorettes et de danses irlandaises ou écossaises. Née des danses Morris dont les origines remontent au Moyen Âge, la carnival morris est réservée aux femmes et a, selon ses fans, trouvé un souffle nouveau ces dernières années.

Ce sont les «mêmes pas de danse et de sauts que la danse folklorique, mais la carnival morris est réservée aux filles et aux femmes et se pratique en compétition», explique Susan Wilde, entraîneuse du groupe Platt Bridge, dont elle est membre depuis ses 5 ans. Le groupe compte 70 danseuses de 3 à 60 ans. «C’est surtout le côté social de la danse que j’aime. Avec les amies que je me suis faites ici, nous avons tout traversé ensemble», explique-t-elle en replaçant le ruban de sa queue de cheval.

Les tubes – dont Murder on the Dancefloor de Sophie Ellis Bextor – s’enchaînent et le parquet tremble sous les pas de danse. Mel Sharrock, 36 ans, manucure parfaite et colorée, tresse les cheveux de sa fille Ocean, 12 ans, en tenue de spectacle noir et or à paillettes, sous le regard de sa grand-mère. Elles sont toutes les trois danseuses de carnival morris. Derrière les strass, les chaussettes à volants et les grelots sur les chaussures, le carnival morris est aussi un passe-temps peu coûteux dans un pays ayant traversé plusieurs années d’inflation.

Si nous continuons à être inventives, les jeunes feront vivre cette tradition

«On ne demande qu’une cotisation de 5 livres (soit 6 euros) par semaine. On reçoit des subventions de la mairie et on organise des levées de fonds», explique Susan Wilde. Avec cela, elle finance tout : costumes, accessoires, décors, salle d’entraînement et le bus pour les compétitions hors de Wigan (nord-ouest du pays), où le groupe est basé. «Et quand on part en compétition, le car permet à tous les membres de la famille de venir et de profiter d’une journée en dehors de chez eux», ajoute-t-elle.

Ainsi, dans le public, Lorraine Catterall, 53 ans, est venue voir sa petite-fille. «Le carnival morris garde nos filles en dehors des rues», dit-elle. «Moi, ça m’a donné un cadre, une rigueur que je suis heureuse de transmettre aux plus jeunes que j’entraîne», raconte Cieré Woodhead, 24 ans, qui danse aussi pour la troupe Platt Bridge. Selon la Morris Federation, le Royaume-Uni comptait 770 troupes en 2023, avec une majorité de femmes pour la première fois de l’histoire. La tendance devrait se poursuivre, les deux tiers (64 %) des nouvelles recrues étant des femmes.

Traditionnellement réservé aux hommes, l’évènement a vécu dans les années 1970 une «révolution du folklore», avec la création de plusieurs groupes exclusivement féminins, dont le premier était le Windsor Morris en 1974. Beth Neil, 70 ans, fait partie des fondatrices : «C’était libérateur, il y avait une sororité entre nous qui perdure aujourd’hui avec les nouvelles recrues. Si nous continuons à modifier nos danses, à être inventives, à évoluer, les jeunes continueront à venir et à faire vivre cette tradition.»

«J’ai l’impression qu’après le covid, beaucoup de gens ont réfléchi à leurs racines et aux traditions de leur pays. Ce qui fait un pays et comment nous voulons le définir», explique Flora Dodd, 26 ans, dernière recrue du groupe. Rebecca MacMillan, 45 ans, cheveux courts et visage anguleux, a intégré Boss Morris en 2019, après une réflexion similaire. «Après le référendum du Brexit, j’avais besoin de me réconcilier avec mon pays et ses traditions», raconte-t-elle en se maquillant au lever du jour avant une représentation à Stroud (sud-ouest).

Fondé en 2015, le Boss Morris, qui compte 12 danseuses, a été conçu comme une sorte de «lieu sûr», selon Rhia Davenport, membre du groupe. «C’est ma sœur qui a eu l’idée du nom Boss Morris, et nous avons aimé. C’est très fort, ça sonne un peu comme « les femmes aux commandes »», explique Alex Merry, 40 ans, l’une des fondatrices. Ce groupe féministe entend se réapproprier le récit culturel et historique britannique, en jouant avec une vision moderne d’une danse folklorique traditionnelle, tout en rejetant les connotations nationalistes que le folklore peut susciter.