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Anatomie du «chut» dans le cinéma d’horreur


Dans le genre italien du «giallo», la main du tueur posée sur la bouche de sa victime est une image récurrente. Ici : L’uccello dalle piume di cristallo (Dario Argento, 1970). (Photo : titanus)

Dans le cinéma d’horreur, on a tendance à oublier l’importance du silence : vecteur de tension, donc déclencheur de fortes palpitations. Alors que le calme menaçant de A Quiet Place : Day One règne dans les salles, brisons le silence.

Le cinéma n’a pas attendu d’être parlant pour se frotter à l’horreur. De Nosferatu, eine Symphonie des Grauens (F. W. Murnau, 1922) à Frankenstein (James Whale, 1931), voilà la preuve qu’il n’y a pas forcément besoin, pour susciter l’effroi, de voix sorties des ténèbres, de cris atroces ou d’une bande-son anxiogène. Et c’est la preuve aussi que le silence terrifie. Il y a néanmoins ce constat : ce qui marque avant tout dans l’épouvante, c’est l’image, éprouvante. C’est bien le visage fou de Jack Nicholson bloqué dans la porte (The Shining, Stanley Kubrick, 1980) qui reste coincé dans la tête ou les tortures de la saga Saw qui font mal au ventre. Mais pas seulement.

À moins d’être dans Nuovo Cinema Paradiso (Giuseppe Tornatore, 1988), quand un film démarre dans la salle obscure, il faut se taire. Le cinéma est alors comparable à la nuit. Et, dans le registre horrifique, pourquoi pas, à la nuit dans une ruelle, ou dans n’importe quel lieu isolé, calme. C’est, justement, à partir de ce cadre que s’est construit le bien-nommé Silent Hill (Christophe Gans, 2004). Et quel est, d’ailleurs, le titre français de A Quiet Place (John Krasinski, 2018)? Sans un bruit.

«Jump scare» et silence… dans la salle

Le silence est, de toute façon, corrélé à l’horreur. De Peeping Tom (Michael Powell, 1960) à Psycho (Alfred Hitchcock, 1960), il s’agit de mettre le spectateur, inconfortable, dans une position de témoin muet. Quand un psychopathe rôde, le silence est asphyxiant. Non seulement, il symbolise l’anticipation de la mort, mais, en plus, il peut caractériser le tueur; son absence de parole colle à son absence d’humanité. Même si l’une des plus célèbres sagas d’horreur se nomme Scream, la peur, dans ce genre, peut s’entendre à travers le cri étouffé; à l’instar du spectateur dans la salle, la victime doit se taire. Le titre de film qui résume cette idée serait The Silence of the Lambs (Jonathan Demme, 1991). En Italie, le «giallo» renvoie, à ce propos, à une image très parlante : une main posée sur une bouche. C’est aussi la photo de l’affiche de A Quiet Place, premier du nom. C’est l’image du silence. Elle est terrifiante.

Quand il s’agit de cinéma d’horreur, le silence fait pressentir le pire; il est une menace. Dans Jaws (Steven Spielberg, 1975), le premier blockbuster d’horreur (et le premier blockbuster tout court), quand le requin apparaît, c’est, là encore, sans un bruit. Il faut se méfier de l’eau qui dort. Le spectateur redoute ce moment où, immobile dans son fauteuil, il va être pris d’une secousse, provoquée par le «jump scare», soit le sursaut d’horreur. Celui-ci fait son effet quand il rompt avec la tranquillité souvent liée au silence. Plus le silence est profond, plus le retour du bruit, boosté par un «sound design» crispant, suscite des sueurs froides. C’est la technique, perverse et efficace, employée, entre plein d’autres, par John Carpenter, dans The Thing (1982) ou Halloween (1978), sinon par Brian De Palma, quand, alors que Carrie (1976) s’achève et que le spectateur (croit qu’il) peut enfin souffler, une main surgit de la tombe. Le «jump scare» est au grand écran ce que le looping est au grand huit. Et il se révèle, dans un sens, plus fort que le looping car, comme le requin dans Jaws, on ne le voit pas venir, autant qu’on ne l’entend pas.

Paranormal et illusion du réel

Le spectateur sait que le pire peut se trouver dans ce qu’il n’entend pas, autrement dit, dans ce qui se situe hors-champ. Et, alors, se faire un film, autre que celui qui est projeté sur l’écran. C’est le cas des longs métrages qui traitent du surnaturel, de The Blair Witch Project (Daniel Myrick et Eduardo Sanchez, 1999) à Paranormal Activity (Oren Peli, 2007). C’est raccord avec le genre : les fantômes ne sont pas visibles – or, l’équivalent sonore de l’invisible, c’est le silence. Il est alors pétrifiant quand on sait ce qu’il cache. C’est raccord aussi, d’un point de vue économique, avec le style «found footage» : quand on ne dispose pas de grands moyens, il faut faire avec ceux du bord. Et le silence est gratuit, même s’il est d’or.

Pour finir, l’illusion du réel peut passer par le jeu du silence. S’il ne fait pas de cinéma d’horreur à proprement parler, David Lynch sait créer de puissants instants d’angoisse. Dans Mulholland Drive (2000), c’est Naomi Watts qui est prise de secousses sur son fauteuil, lorsqu’elle s’aperçoit que Rebekah Del Rio, la chanteuse de Llorando, fait du playback sur scène. Celle-ci n’existe pas. Le silence renvoie alors au songe, ou plutôt au cauchemar – voire à la mort. Et comment s’appelle le club où se déroule cette séquence? Le Silencio.

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