Accueil | Culture | [Interview] Altin Gün, joyeux cocktail de folk rock et chansons turques

[Interview] Altin Gün, joyeux cocktail de folk rock et chansons turques


Le groupe turco-néerlandais Altin Gün sera ce vendredi soir à la Kulturfabrik d'Esch-sur-Alzette. (photo DR)

Altin Gün, combo turco-néerlandais, débarque ce vendredi soir à la Kulturfabrik avec son cocktail sophistiqué et jubilatoire de chansons turques traditionnelles, de folk rock psychédélique et de groove. Totalement addictif, joyeusement fédérateur !

À l’instar du groupe californien Dengue Fever qui réinvente le rock khmer après avoir découvert la scène cambodgienne des «sixties», Altin Gün, lui, fantasme sur les trésors cachés du Bosphore. Fondé à Amsterdam en 2016 par le bassiste Jasper Verhulst, le groupe revisite en effet l’âge d’or («altin gün» en turc) de la scène rock anatolienne après être tombé en amour de ses stars – Cem Karaca, Baris Manço, Selda Bagcan (il faut écouter son album Selda de 1976) et l’incontournable Erkin Koray (idem pour son Elektronik Türküler sorti, lui, en 1974).

Cette musique psychédélique, trait d’union entre la modernité du rock occidental et les sonorités classiques turques, Altin Gün va en faire sa propre mixture, à savoir un savoureux cocktail de pop chatoyante et dansante, comme en témoignent deux excellents albums – On (2018) et Gece (2019) –, tous deux portés par un sens du groove diabolique.

Après une nomination aux derniers Grammys, le combo turco-néerlandais revient ce soir au pays (leur premier show aux Rotondes, fin 2017, s’est déroulé dans un relatif anonymat). En marge de leur concert milanais, le guitariste Ben Rider explique ce qui fait le charme de sa bande haute en couleur. Entretien.

Comment avez-vous découvert toute cette scène rock anatolienne ? C’était avec Jasper (Verhulst), n’est-ce pas ?

Ben Rider : Oui, c’est ça ! On jouait tous les deux, à l’époque, avec Jacco Gardner, et un jour, on s’est rendus à Istanbul, avec le groupe. Sur place, on s’est fait une sortie chez les disquaires vu que Jasper est un collectionneur de vinyles. Personnellement, les années 70, le psychédélisme, la folk… ça me parlait. Mais ce que j’ai entendu là m’a franchement étonné. On s’est dit : « Whaou, c’est cool ! Et si on essayait d’en jouer ? »

Au niveau des textes, on ne comprenait rien du tout !

Qu’avez-vous tant apprécié dans cette musique ?

Disons qu’elle porte en elle quelque chose de fort, de puissant. Il y a aussi ce côté « vintage » dans la production, la manière de faire sonner les instruments, d’utiliser les micros… qui m’a plu tout de suite. La musique est souvent une question de sensation, surtout qu’au niveau des textes, on ne comprenait rien du tout (il rit). Tout ça était assez mystérieux, donc attirant.

Vous avez donc dû être surpris une fois que l’on vous a traduit les paroles. C’est quand même assez triste, mélancolique, non ?

Tout à fait ! C’est Erdinç (Ecevit Yildiz), le chanteur, qui, une fois dans le groupe, a fait office de traducteur. On est tous tombés des nues en apprenant ce que les chansons racontaient ! Ça évoque en effet, de façon poétique, la vie, la mort, l’amour, les larmes, le sang… Oui, c’est assez sérieux, et franchement dramatique (il rit). Pourtant, la musique, elle, est entraînante, tout en groove. C’est une étrange combinaison entre joie et tristesse. C’est juste parfait !

Avec Altin Gün, vous avez alors décidé de vous approprier ces standards de la musique turque plutôt que de créer vos propres compositions. Pourquoi ?

Au début, on a vraiment fait dans la copie conforme. On essayait de rester au plus près du morceau original. Mais après plusieurs répétitions, on s’est dit que l’on pourrait faire de ces standards quelque chose de plus personnel, proposer nos propres versions. Rappelons qu’avant les Beatles, la plupart des groupes prenaient des standards traditionnels et les jouaient à leur manière.

Est-ce aussi un moyen de rendre accessible une musique assez confidentielle ?

Tout à fait. C’est même la raison d’exister d’Altin Gün ! Ça n’a rien d’évident d’exhumer de vieux morceaux pour leur donner des accents plus modernes, mais on s’y attache avec le plus de sérieux possible. On parle parfois de chansons vieilles d’un siècle ! Les rendre alors accessibles au plus grand nombre, c’est un véritable honneur. Oui, ce ne sont pas nos morceaux, mais c’est comme tel. On fait en tout cas de notre mieux pour les mettre en lumière. J’espère que ça se voit (il rit) !

Vous n’êtes donc pas un groupe de reprises ?

(Il rit) Non. On est un groupe de folk qui joue de vieux standards, c’est tout ! Les gens qui croient autre chose se trompent.

Le plus grand risque pour Altin Gün, justement, n’est-il pas de déformer, dénaturer ces standards traditionnels ?

C’est un fait, mais il y aura toujours des puristes, des gens qui se posent comme défenseurs du passé. Il faut faire avec et je peux comprendre qu’ils soient en désaccord avec notre démarche. Mais d’autres ne le sont pas, apprécient notre travail, le fait que l’on ressuscite un pan de la musique turque. Et puis, franchement, on est quand même en 2020…

 Les gens crient nos noms. Mais comment le connaissent-ils ?

Êtes-vous surpris du succès que connaît Altin Gün depuis maintenant deux ans ?

Oui, surtout qu’au départ, il n’y avait aucune projection, aucun projet concret. C’était juste du fun! Mais au fur et à mesure, après quelques concerts, on a constaté que le public accrochait bien. Tout ça a pris de l’ampleur et, aujourd’hui, on se retrouve devant des foules. Les gens nous réclament des selfies, on signe nos disques. Partout où l’on joue, sur différents continents, les gens crient nos noms. Mais comment le connaissent-ils ? (Il rit) Oui, c’est complètement fou et assez incompréhensible.

Altin Gün n’a-t-il pas, dans son essence même, son métissage, un côté fédérateur ?

Il doit y avoir de ça. D’ailleurs, où que l’on passe, les réactions sont différentes. Les Français, des gens polis, écoutent les chansons et applaudissent quand elles se finissent. Aux Pays-Bas, chez nous, les gens hurlent, lèvent les bras en l’air, sont incontrôlables… En Turquie, le public est enthousiaste, à fleur de peau même. On voit parfois des larmes de joie couler des yeux des spectateurs. Mais il y a un point commun à toutes ces réactions hétérogènes : une envie de se laisser emporter par de bonnes vibrations.

D’ailleurs, à nos concerts, tout le monde danse ensemble, chante, se tient par la main… Des Turcs et d’autres, de différentes nationalités. Voir les gens partager quelque chose, c’est génial ! Ce métissage fait chaud au cœur. Rassembler les gens, c’est ce qu’il y a de plus beau.

L’attente – ou la pression, c’est selon – est-elle plus grande quand vous jouez en Turquie ?

Que l’on joue à Istanbul – on y retourne d’ailleurs dans quelques semaines – ou à Ankara, Antalya, Eskisehir, l’excitation est toujours la même. Il n’y a ni crainte ni angoisse. On a des amis, maintenant, sur place, les gens sont bienveillants, les villes sont belles… Que demander de plus !

Sans oublier les magasins de disques, non ?

(Il rit) C’est clair. C’est toujours inscrit dans notre planning !

Pour finir, qu’attendez-vous de l’année 2020 ?

On va d’abord retourner aux États-Unis (NDLR : notamment au festival Coachella), et on se rend pour la première fois au Japon. Sans oublier que l’on travaille sur un troisième album. Bref, l’année va être chargée, on ne sait pas comment ça va fonctionner, mais on n’est pas du genre à se prendre la tête. C’est aussi ça la force d’Altin Gün (il rit) !

Entretien avec Grégory Cimatti

Ce vendredi à partir de 20h à la Kulturfabrik. After Party au Ratelach.