À force de courir les pubs, à multiplier les concerts et à constituer une discographie qui part dans tous les sens, quitte à s’égarer en route, il fallait quand même, un jour, mettre un coup de frein. C’est ce que vient de faire Sleaford Mods. Critique de son dernier album « All That Glue ».
Sleaford Mods, duo fâché qui redonne de la gueule au punk anglais, avec cette rétrospective d’une carrière débutée en 2007, qui s’est accélérée en 2013 au point que leur dernier album, Eton Alive (2019), s’est classé dans le top 10 britannique. Ici, nos deux quadragénaires déballent donc les cartons du grenier, dépoussièrent certaines vieilleries et alignent 22 titres qui, mis bout à bout, sonnent juste et illustrent bien leur histoire, improbable ascension de deux hurluberlus, des trottoirs de Nottingham aux salles du monde entier.
C’est que depuis quelque temps, la formule, simple, dépouillée, sans tricherie, fait mouche : prenez ainsi un premier énergumène qui balance depuis son ordinateur un son rentre-dedans, agrémenté d’une basse entêtante, avant d’ingurgiter une Heineken en bougeant la tête. Trouvez-lui un comparse à la langue bien pendue, aux idées claires, à l’esprit acerbe et à l’accent «cockney» à couper au couteau, chroniqueur inspiré décriant les maladies de la société anglaise comme s’il engueulait quelqu’un…
D’un côté, donc, Andrew Fearn, l’homme-producteur derrière la machine, et de l’autre, Jason Williamson, l’aboyeur en colère. D’ailleurs, ce dernier, sur scène, ne lâche jamais sa bouteille d’eau, geste qui rappelle tout l’effort que nécessite de telles envolées bilieuses. Dans leur fief, d’ailleurs, les sujets ne manquent pas, entre baston sur les parkings, bière à bas prix et file d’attente au Pôle emploi du coin. Sans oublier les politiques et les dérives populistes du Brexit, qu’ils épinglent régulièrement. Tous deux sont d’ailleurs la preuve vivante de l’austérité ambiante : un groupe réduit à sa plus simple expression, et sans les attributs qu’on pensait essentiels au punk-rock (guitare, ampli, batterie).
Tout cela est passé à la moulinette d’une écriture à fleur de caniveau, craché dans un «spoken word» impitoyable, porté par des sonorités punk et de dance beats cradingues. Bref, avec Sleaford Mods, tout est radical : le dénuement, la violence, l’engagement et la dérision – les Anglais ont une expression, «take the piss» (qui pourrait se traduire par «se foutre de la gueule» de quelqu’un), qui leur correspond plutôt bien.
All That Glue, avec cette pissotière sur la pochette qui donne le ton, essaie de compiler toutes ces humeurs à travers une poignée de titres les plus populaires du duo, et d’autres oubliés (singles sans album ou sortis sur cassette, versions alternatives…), sans que l’ensemble ne sonne faux. En effet, tous les morceaux, officiels ou officieux, jouissent d’une même impact. Et c’est tant mieux.
Reste que les derniers titres rassemblés ici rappellent également les récentes orientations de Fearn-Williamson, timides, certes, mais bien réelles : plus d’électronique, un chant qui se veut plus accessible, une production moins rêche… Faut-il y voir l’effet négligeable de la popularité ? Ou des envies de changement, louables, après treize ans de minimalisme ? Dans les deux cas, espérons que cette compilation ne soit pas, en réalité, un trait d’union annonçant une transformation majeure. La farce serait franchement moins drôle.
Grégory Cimatti