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[Album de semaine] «Spill» : ELLiS·D, le joyau de la couronne 


Depuis deux ans, invariablement, les illustrations de ses singles se ressemblent, avec ce même fond d’un noir intense d’où surgit un visage blême, surmonté d’épais cheveux coiffés en bataille.

Pour tout regard, une paire d’yeux révulsés, comme s’il ne voulait pas voir ce qui lui arrive, ni se montrer sous son vrai jour. Discret, ELLiS·D? Pas vraiment si on s’attache à ses dernières sorties live et aux commentaires d’un public tombé sous le charme, car doublement hypnotisé : par une musique qui ne ressemble à rien d’autre, et par cette silhouette longiligne, infatigable, théâtrale et flamboyante, sorte de diva gothique sortie tout droit d’une faille spatio-temporelle depuis les années 1970.

Toujours à l’image, son premier EP, Hullo, Reality!, sorti en 2023, va confirmer l’idée que l’on se fait du personnage : sur la pochette, il enfile une combinaison rayée que n’aurait pas reniée David Bowie période Pin Ups, mais ajoute surtout un élément fondamental : la guitare. Comme on n’est pas à un paradoxe près avec ELLiS·D (Ellis Dickson de son vrai nom), on apprend que son premier instrument… est la batterie, avec laquelle il accompagne toujours des groupes et artistes (à Paris, récemment, il s’est posé derrière celle de Fat Dog, qu’il suit dans sa tournée européenne). Pourtant, à l’écoute de son second EP, Spill, une évidence saute à l’oreille : la six cordes semble être un prolongement de son corps, et un outil parfait pour appuyer son impressionnante voix.

C’est d’ailleurs elle qui lance les hostilités, montant sur une légère nappe de synthétiseur dans Chasing the Blue, chanson d’ouverture qui, sur plus de sept minutes, montre les intentions de l’extra-terrestre : prendre son temps pour développer des morceaux qui ne s’embarrassent pas des styles, ni d’une humeur continue. Avec lui, il faut que ça bouge, ça évolue, ça étonne et ça détonne, d’où ces variations et ces cassures de rythme au sein d’un même titre. Accompagné de cinq gaillards qui savent y faire, ELLiS·D sème le trouble mais génère l’ivresse avec un son qui traîne un paquet de références, qu’il se réapproprie avec classe : du post-punk façon David Byrne (Talking Heads), du glam-rock ramenant à Roxy Music et Bryan Ferry, mais aussi une pincée de froideur gothique et de colère à fleur de peau.

Une alliance malaisée d’appréhension nerveuse et d’abandon joyeux

Étonnamment, malgré l’aspect labyrinthique de son univers, Spill n’est jamais éprouvant pour l’auditeur : brillamment conçu à Londres, il enchaîne les bonnes idées et les répand sans forcer, glissant toutefois ici et là quelques branches auxquelles s’accrocher. Ces sept morceaux partagent en effet une tension commune, soulignée par des guitares anguleuses et abrasives (la chanson multicouches Shakedown aurait pu faire partie de l’album de Fugazi, Steady Diet of Nothing). Mais aussi une folle inventivité, une énergie rentre-dedans et une émotion sensible. Ce qui fait dire à son auteur, pour définir ce disque : «Une alliance malaisée d’appréhension nerveuse et d’abandon joyeux. Je me jette dramatiquement sur le bûcher funéraire à un moment donné, pour me relever et me tordre frénétiquement les membres le lendemain.»

Comme si cela ne suffisait pas, ELLiS·D a un dernier atout planqué dans son costume : un talent vocal, avec ce chant qui passe sans faillir de hurlements enivrants à des chuchotements suraigus. Qui, d’ailleurs, occupent une bonne partie de l’espace, et collent parfaitement avec l’excentricité du gaillard. Autant dire que Spill, derrière l’apparente légèreté de son format court, est un disque rare à plus d’un titre. Dans ce sens, pas sûr qu’Ellis Dickson ait besoin d’un «vrai» album pour revendiquer quoi que ce soit : en Grande-Bretagne, malgré le nombre de groupes inspirés et inspirants, on lui promet déjà la couronne. Certes, dans une dizaine de jours, à la Rockhal, il devra encore se contenter de la place d’outsider, de celui qui joue en première partie. Mais nombreux le prédisent déjà : le monde sera rapidement trop petit pour lui.

 

ELLiS·D – « Spill »

Sorti le 21 mars

Label Crafting Room Recordings

Genre rock