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[Album de la semaine] Zé Ibarra, nouvelle garde de la MPB


Il se passe quelque chose de fascinant sur la nouvelle scène de la musique populaire brésilienne (MPB).

Une jeune génération de musiciens au talent monstre, pour la plupart pas encore entrés dans la trentaine (ou alors à peine), reprennent les rênes d’une tradition musicale toujours bien vivante, mais avec l’ambition de se hisser à la hauteur des icônes. Il est vrai que, depuis l’avènement de la «Jovém Guarda» (Roberto Carlos, Erasmo Carlos, Tim Maia…) et du tropicalisme pop (Gilberto Gil, Jorge Ben Jor, Chico Buarque…) et d’avant-garde (Gal Costa, Tom Zé, Os Mutantes…) il y a plus de soixante ans, leurs stars sont restées bien en place, à défaut d’avoir trouvé de dignes successeurs – à l’exception notable de Seu Jorge, maillon fort d’une chaîne qui lie trois générations de musiciens cariocas. C’est justement sous l’oreille attentive des aînés que s’est mise en place cette MPB 2.0, représentée notamment par Tim Bernardes, Dora Morelenbaum, Julia Mestre ou Zé Ibarra, dont les encore jeunes carrières sont émaillées de collaborations, sur scène ou en studio, avec Gal Costa, Erasmo Carlos, Milton Nascimento ou Caetano Veloso, pour ne citer qu’eux.

Quand, début 2020, la pandémie de Covid-19 frappe la planète, Zé Ibarra se confine avec trois brillants collègues – Dora Morelenbaum, Julia Mestre et Lucas Nunes – dans un appartement de Copacabana. Ensemble, ils forment Bala Desejo, un groupe aussi éphémère qu’immédiatement influent sur la scène locale, tout en poursuivant leurs aventures en solo, avec l’aide des copains bien sûr, et de Coala Records, label de référence pour cette jeune génération (qui édite aussi Tim Bernardes). En octobre dernier, Dora Morelenbaum y a sorti son formidable premier album, Pique, placé sous le signe du psychédélisme, et en mai, c’était au tour de Julia Mestre de dévoiler Meravilhosamente bem, un hommage à la samba-funk qui lorgne vers la pop lo-fi tendance années 1980. Et puis arrive Zé Ibarra, avide lui aussi d’expérimentations musicales comme en atteste Afim, son deuxième disque, qui, sur le fond, partage beaucoup avec le précédent, sorti en 2023, mais radicalement différent sur la forme.

Avec Marquês, 256., Zé Ibarra prenait le contrepied de l’opulence instrumentale qui caractérisait Bala Desejo : une collection de ballades sans autre accompagnement qu’une guitare folk envoûtante, qui marquait par son jeu tendre et sa voix sensible. De quoi le rapprocher déjà de Tim Bernardes, avec cet autre point commun que leurs deux premiers albums, dont Caetano Veloso avait d’ailleurs fait l’éloge, malgré leur beauté manifeste, manquaient d’un brin de substance – et de se corriger, donc, sur le prochain projet. «Afim», en portugais, c’est le semblable, le parent, celui qui est sur la même longueur d’ondes que son environnement – en deux mots, «a fim», c’est l’envie. Quatre petites lettres qui cachent une forêt d’influences et qui traduisent le désir de Zé Ibarra de travailler à l’instinct, en unissant dans un même langage musical tout un éventail de paysages sonores. Dans ses propres termes : «J’aime à penser que chaque morceau est une nouvelle version de moi-même.»

Sur 30 minutes et huit chansons, il mélange, indifférenciées, compositions originales et reprises de ses contemporains – une formule qui servait déjà de concept à son premier album. On peut s’arrêter sur la beauté folk de Retrato de Maria Lúcia (une reprise de l’obscur Itallo França déjà chantée par Julia Mestre) et Essa Confusão, coécrite avec Dora Morelenbaum, qui feront persister l’idée que Zé Ibarra is the new Tim Bernardes. Mais l’artiste sait aussi bien émerveiller que surprendre, quand il livre sa propre vision de la bossa nova, doucement funky (Infinito em nós, Da menor importância) ou à la profondeur orchestrale avec guitare électrique, volutes electro et section de cordes (Transe). Idem pour Morena, une samba tout en douceur que l’on doit initialement à Tom Veloso (fils de, et vieux compagnon de route de Zé Ibarra au sein du groupe Dônica), ici frappée de l’incomparable timbre androgyne du chanteur.

Autre preuve que, pour lui, la MPB est intemporelle et, donc, ancrée dans le présent, il livre un morceau de bravoure avec Segredo, encore une reprise, cette fois de ce titre énervé de la post-punkette Sophia Chablau, aux paroles libidineuses et un tantinet vulgaires : Zé Ibarra en fait une bossa nova «queer» aux accents soft rock, proche de la complainte amoureuse ou de l’appel au secours. Beau garçon, la crinière ondulante et la dent blanche, le Carioca, qui touche ici à toute une panoplie d’instruments (synthétiseur, guitare, boîte à rythmes…), s’entoure d’une quinzaine de musiciens et se révèle aussi être un chef d’orchestre formidable, même aux côtés de celui qui assure une grande partie des arrangements orchestraux, le grand Jacques Morelenbaum (père de, et immense violoncelliste pour les stars de la MPB, mais aussi Sting, Cesária Évora, Henri Salvador, David Byrne…). De là, une chose est sûre : il ne peut encore que grandir.

Zé Ibarra – « Afim »

Sorti le 5 juin

Label Mr Bongo / Coala Records

Genre MPB