C’est avant tout l’histoire d’un héritage, comme en atteste le titre du film et de l’album. D’une filiation entre le passé et le futur, qui se rencontrent à un moment précis dans le temps, sous l’égide de deux DJ français reconnaissables à leurs casques.
Près de trente ans après Tron, film pionnier des effets spéciaux par ordinateur, Disney, dans une période où la société de production s’est aventurée dans des choix artistiques plus adultes, souvent injustement mésestimés (John Carter, Tomorrowland…), a choisi de lui donner une suite.
Pour la musique, le choix de Daft Punk semblait tout désigné : fans du film original, qui les a inspirés pour leur look légendaire, les fondateurs de la «French Touch» se sont vu offrir la possibilité de composer une véritable musique de film, comme leurs idoles Wendy Carlos (compositrice du Tron de 1982), Vangelis et Giorgio Moroder. Mais, alors qu’au début des années 2010, les compositeurs de musique de films n’hésitent pas à prendre des tournants expérimentaux, privilégiant les ambiances et le design sonore avec de petites formations, le duo formé par Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, lui, voit grand. Et pourquoi pas : Disney a les moyens. Ainsi, la bande originale de Tron : Legacy est conçue complètement pour l’écran, avec un thème principal (The Grid) plusieurs fois décliné ou incorporé aux différentes compositions, des thèmes pour les différents personnages (The Son of Flynn, C. L. U., Adagio for Tron) ou pour les scènes d’action (Derezzed). Mais Daft Punk étend l’expérience dans l’album de la bande originale, conçu comme un véritable opéra électronique et symphonique, joué par le duo et 85 musiciens de l’Orchestre philharmonique de Londres, et qui fait de Tron : Legacy l’un des albums de musique de film les plus innovants.
À l’occasion de son dixième anniversaire, l’unique BO composée par Daft Punk ressort donc dans une version augmentée de neuf titres pour une durée totale de 84 minutes. Parmi les nouveaux ajouts, on se réjouit d’y entendre Castor, titre «dancefloor» qui apparaît dans une mémorable scène de combat dans une discothèque, où l’on voit même Daft Punk faire une apparition dans son propre rôle, l’envoûtant Sea of Simulation ou Father and Son, variation émotionnelle et symphonique autour du thème principal.
Il faut cependant émettre quelques réserves sur cette nouvelle édition : parmi les neuf nouveaux titres, aucun n’est vraiment inédit. Tron : Legacy a connu plusieurs versions, sorties au cours des dix dernières années sur supports physique et numérique, qui, au total, les avaient déjà toutes publiées. L’édition «complète» n’a pour seul mérite que de les regrouper toutes au sein du même album. Par ailleurs, on aurait préféré que l’ordre des titres eut été revu pour y insérer les nouveaux morceaux, au lieu de les balancer simplement après l’album original. Et, quitte à être tatillon, quid de Computerized, collaboration entre Daft Punk et Jay-Z, prévue pour le film avant d’être refusée par Disney, et toujours inédite à l’heure actuelle ? On aurait aimé découvrir dans une version propre cette démo mystérieuse, prêtée un temps (par erreur) à Kanye West à la production et qui sample The Son of Flynn, mais il faut voir la réalité en face : cette «Complete Edition» n’est guère plus qu’un coup marketing comme seul Disney sait le faire.
Quoi qu’il en soit, Tron : Legacy reste un monument qu’il faut redécouvrir, pour sa virtuosité et sa dimension épique, comme pour son statut de précurseur du mouvement synthwave, né au début des années 2010 et aujourd’hui merveilleusement représenté dans la culture pop (avec The Weeknd et Dua Lipa en musique, et Stranger Things, Ready Player One ou Drive au cinéma). Plus qu’une BO de génie, plus qu’un opéra rétrofuturiste, Tron : Legacy est un sommet dans l’œuvre de Daft Punk, unique en son genre et, osons le dire, prophétique.
Valentin Maniglia