Retrouvez la critique de l’album de la semaine.
Il n’y a pas à dire, on vit une belle époque : le fossé entre les riches et les pauvres ne cesse de s’accentuer, le climat fonce dans le mur et la technologie déshumanise. Face à cet inquiétant panorama, les politiques tempèrent, jouent le jeu des GAFAM et se gargarisent de discours creux, favorisant l’inexorable marche en avant de l’extrême droite, des fausses idées, de l’isolement et de la division. Histoire d’éviter l’ulcère à l’estomac ou l’asphyxie qui guettent, Droges a une méthode bien à lui : balancer en musique sa colère et sa rancœur sur un monde qui ne tourne plus rond, sans effets de manche. Du brut et du direct, aussi percutant qu’un coup de poing, aussi vivifiant que du sucre sur une dent cariée.
Certes, le remède n’est pas d’aujourd’hui. Depuis les punks, dont les vociférations s’accompagnaient parfois d’une simple boîte à rythmes et d’une instrumentation sommaire, nombreux sont les groupes qui ont privilégié les textes à la garniture. Une des belles et dernières démonstrations en date revient à Gwendoline, duo «à la ramasse» qui raconte la génération désenchantée dont il fait partie, pour qui «la fin du monde a commencé quand ils sont nés», avec ce qu’il faut de je-m’en-foutisme et de cynisme (C’est à moi ça, 2024). Ou encore à Rebeka Warrior, qui exprime depuis des années son féminisme et son anticapitalisme farouches sur des sonorités post-punk et électroniques. À y regarder de plus près, Droges pourrait se situer au croisement des deux.
Ferme ta gueule!
À l’origine, un tandem que rien ne destinait à voir un jour derrière un micro. L’un a même plutôt l’habitude de les installer et les amplifier : Steve Surmely officiait en effet jusque-là en tant qu’ingénieur du son, tandis que son camarade, Bastien Rossetti, est aux lumières. Deux «tekos» (techniciens) également éloignés par les centaines de kilomètres qui séparent le département de la Drôme de celui des Vosges. D’où ce nom, contraction de leurs terres d’origine. Amenés à travailler ensemble sur la tournée d’Ascendant Vierge (électrons libres eux aussi, qui combinent techno hardcore et chant lyrique), le duo se lance à son tour dans l’aventure musicale, animé par une envie de «tirer sur tout ce qui bouge», comme ils l’écrivent sur Bancamp, et un jour, qui sait, «de passer sur NRJ».
Bon, Droges a tout de même ses préférences : il n’aime clairement pas les bourgeois, les fachos, les masculinistes et toute la musique préfabriquée. Mais ce n’est là qu’une partie de ce qui s’apparente à un règlement de compte en règle, ou plutôt à un rééquilibrage de la balance sociale, qui penche, on le sait, sérieusement d’un côté. Alors, face aux injustices, au mépris de classes, aux zones périphériques oubliées, à l’exploitation libérale et à la redistribution inégalitaire, le duo dégaine. Ses armes? Un punk synthétique aux airs new-wave et au cœur anarchiste, sur lequel glisse un «spoken word» répétitif, calme dans le ton, querelleur dans ses envies. Même un vieux morceaux de Renaud, Où c’est qu’j’ai mis mon flingue? (1980), rebaptisé ici OCQJMMF, n’échappe pas à leur énergie stupéfiante.
Un album qui s’appelle Tout ça on crame, et qui, sur sa pochette, affiche un cocktail Molotov qui attend la flamme, a des intentions claires : semer la zone, certes, mais pas n’importe comment. Déjà, l’album a été finalisé par Alex Gopher, figure de la French touch, d’où son côté mordant et dansant à la fois. Ensuite, Droges, s’il apprécie balancer de temps en temps un «ferme ta gueule» cathartique, met assez de malice, de lucidité et d’intelligence dans ses propos pour ne pas en faire de simples brûlots caricaturaux. Ainsi, depuis le bas de la pyramide, à ras du trottoir, sa vision se pare d’humour noir, d’autodérision, de sarcasmes et même de conseils (comme ce Mode d’Emploi Pour Dégonfler Un SUV). Dans un dernier coup de gueule et la chanson Musique Consensuelle, le tandem s’étonne de tous ces artistes déconnectés du réel qui n’ont «rien à dire». Il n’est pas de ceux-là, et sa démonstration fait un bien fou.