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[Album de la semaine] The New Eves, sorcières du son


The New Eves

The New Eve Is Rising

Sorti le 1er août

Label Transgressive

Genre rock

Mais qui sont donc ces quatre jeunes femmes tout de blanc vêtues et brandissant un étendard, à la façon d’une secte païenne type The Wicker Man ou Midsommar?

Pour le comprendre, il suffit de lancer le premier morceau simplement titré The New Eve : un poème déclamé sur fond de larsen, avant que basse et batterie ne viennent soutenir la cadence sur un rythme primitif dont l’intensité, qui va crescendo, explose dans la frénésie des cordes frottées d’un violon.

Une invocation hypnotique, fiévreuse et autoaffirmative, en forme de portrait de la «nouvelle Ève», qui n’a plus grand-chose à voir avec celle de la Genèse : celle-ci «recrache les pépins du fruit défendu et les plante avec soin», elle est faite «de terre, de granit, d’ocre, de magma, de saleté».

Elle est une incarnation radicale de la féminité moderne – une divinité, puisqu’on parle d’une pseudo-secte, dans laquelle ses disciples et consœurs peuvent puiser leur force et leur inspiration. The New Eve présente le quatuor au monde, oui – mais surtout, c’est un manifeste politique.

Violet Farrer (guitare et violon), Nina Winder-Lind (guitare et violoncelle), Kate Mager (basse) et Ella Oona Russell (batterie et flûte) se sont rencontrées en 2021, fréquentant les mêmes cercles d’initiatives féministes de Brighton – par ailleurs capitale officieuse, mais indiscutable, de la musique au Royaume-Uni.

Depuis, elles portent sur scène des shows mélangeant instruments, performance (chose rare : Violet Farrer est également créditée comme danseuse pour ses mouvements interprétatifs), lectures, poésie et imaginaire hérétique.

Leur musique, qu’on définirait dans ses contours comme un folk-«no wave» militant, est un brin plus complexe que cela. D’abord parce qu’elle est ensorcelante, littéralement.

Ensuite, car, de la même manière que les paroles dressent une nouvelle mythologie à partir de récits existants et bien connus, mais figés dans la pierre depuis des millénaires, les musiciennes réinventent les genres qui les inspirent en les prenant comme terrains d’affirmation politique et sociale.

On pourrait dire qu’il s’agit là de l’énième groupe à vouloir défier les genres, transgresser leurs frontières et fondre son talent avec ses propres engagements pour fabriquer une musique qui ne ressemble à aucune autre. Oui mais, voilà, The New Eves ne ressemblent vraiment à aucun autre groupe actuel.

Ces quatre musiciennes étrangement armées composent comme des sorcières concocteraient un étrange philtre, le studio faisant office de chaudron fumant. Ce n’est pas pour rien que leur premier album sonne comme une collection d’incantations païennes.

La trinité rock guitare-basse-batterie est augmentée par un violon et une flûte, parfois à la base d’éruptions purificatoires (dans le rock pastoral Cow Song ou le bien nommé Volcano), le plus souvent menant la danse (Astrolabe, peut-être le morceau «folk psyché» de l’album, le violoncelle disco de Rivers Run Red ou la seconde moitié du dantesque Circles).

Car, avec elles, le chaos ne peut être déclenché que si chaque instrument est à sa place. Si c’est frappant sur album, imaginez-les en live.

Dans d’autres temps et d’autres lieux, on imaginerait le quatuor «performer» à la Factory d’Andy Warhol, écumer les bouis-bouis d’artistes de Greenwich Village et tenir des meetings féministes depuis une chambre du Chelsea Hotel.

The New Eves se passent de comparaisons en termes de genres – cela ne veut pas dire qu’elles ne portent pas la marque de leurs influences. The Velvet Underground serait donc la plus évidente, l’atmosphère psychédélique et le violon faisant foi. Le chant, qui passe d’une voix à l’autre au gré des morceaux, invoque tour à tour le vibrato de Patti Smith ou Grace Slick, l’énergie brute des premiers PJ Harvey – et la profondeur sophistiquée des derniers PJ Harvey.

L’autorité assénée par leurs chansons (récits? manifestes?) renvoie indéniablement à Crass et The Slits, et leur sens du partage et de la communauté – car même en étant pratiquement expérimentale, leur musique charme immédiatement – a un brin à voir avec la folie des B-52s. C’est l’ADN de la nouvelle Ève, qui est tout cela à la fois, et on ne doute pas qu’elle soit infiniment plus. Après tout, elle n’a fait que se présenter.