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[Album de la semaine] Subsonic Eye : Indonésie chérie


Retrouvez la critique musique de la semaine.

En 2021, à l’écoute de la chanson Fruitcake, l’auditeur avisé et un brin âgé sentait une envie irrépressible de monter au grenier, fouiller dans les cartons poussiéreux et d’en ressortir quelques objets aujourd’hui «collector», comme pour célébrer sa jeunesse disparue : ici une Game Boy négligemment placée au fond d’un sac US, et là, un skate porté sous le bras.

Sans oublier, sur les oreilles, un walkman et ses cassettes à rembobiner avec un stylo… Un saut dans le temps, direction le début des années 1990, période où le rock «indépendant» battait son plein outre-Atlantique, ainsi qu’en Europe, y écrivant les plus belles pages de son histoire. Pourtant, l’auteur du morceau en question, le groupe Subsonic Eye, ne vient ni des États-Unis, ni d’Angleterre. Et il a encore moins l’âge de ses références.

C’est en effet du côté de Singapour, en Asie du Sud-Est, que l’on trouve ce collectif dont les cinq membres n’ont pas encore la trentaine. Trop jeunes, donc, pour avoir entendu les premiers échos de la scène underground de l’archipel, où le punk se mélangeait alors au metal pour donner corps (et surtout voix) à la résistance politique. Mais comme MTV a des relais partout dans le monde, la pop allait à son tour se faire une place au soleil.

Qu’elle soit influencée par le modèle anglais ou américain, l’important, c’est que la guitare parle et que la mélodie soit inspirée (et inspirante). En ce sens, il est évident que Subsonic Eye fait figure d’héritier. Il le reconnait même sur Bandcamp, en se définissant, sans plus d’attribut, comme une bande qui fait de la musique «à guitares», qualificatif qui enrobe son inclinaison pour les ambiances aériennes (dream) et traînantes (shoegaze).

C’est en 2017, entourée d’une scène foisonnante et de labels qui la défendent (Shiny Happy, Kolibri, HeyHo!), qu’est née la formation, articulée autour de deux guitaristes et d’une chanteuse – sans oublier le classique «basse batterie». À leur CV, deux premiers disques anecdotiques plutôt planants, avant un retour sur la terre ferme il y a quatre ans avec Nature of Things, porté par sa chanson entêtante. Autour de Fruitcake, toutefois, une ribambelle d’autres titres vivifiés par la même recette qui, depuis quatre décennies, trace sûrement son chemin : des sons envoûtants qui s’empilent à l’envi, des rythmes entraînants, des riffs accrocheurs et quelques estocades rock placées au bon endroit, au bon moment. Le tout emmené par la voix de la discrète Nur Wahidah, dont l’aspect vaporeux offre des possibilités d’assemblages sans limite.

Certains diront que les morceaux se ressemblent. Disons plutôt qu’ils tintent à l’unisson

Après ce coup de maître, qui n’a rien donc de nostalgique pour ses auteurs, il y a aura un quatrième disque, All Around You (2023) qui, en dehors du morceau qui lance les réjouissances (Performative) et de celui qui les conclut (Everything), assume une orientation plus pop, comprendre plus percutante, plus sucrée. C’est sur cette base que s’est construit son successeur, Singapore Dreaming, sorti deux ans après, dans un rythme de métronome. Dessus, façon Yo la Tengo ou Lush de l’époque, Subsonic Eye fait ce qu’il sait faire de mieux : aligner les chansons qui caressent les tympans grâce à un sens imparable de la mélodie, un jeu subtil de guitares réglées sur un son clair et une énergie débridée. Certains diront que les morceaux se ressemblent. Disons plutôt qu’ils tintent à l’unisson.

Sur ce nouveau disque qui file sur une demi-heure et d’où rien ne déborde, Subsonic Eye hausse le ton, même si ça ne s’entend pas. Depuis ses débuts, il se pose en effet comme un défenseur-observateur de la nature, en proie à une disparition programmée face à l’expansion urbaine – rappelons que l’Indonésie est la quatrième nation la plus peuplée du monde, avec ses 284 millions d’habitants. Sous une fausse nonchalance, le quintette va plus loin avec ce disque qui emprunte son nom à un film singapourien vieux de vingt ans, questionnant comme lui le capitalisme, la consommation et la culture du travail étouffante. Mais il le fait sans cynisme, ni désespoir, debout et fier face au chaos qui s’annonce. On pourrait alors le comparer à ces canaris envoyés dans les mines de charbon, au XIXe siècle, pour prévenir de la présence de gaz toxiques : derrière des airs qui se fredonnent, il y a toujours une menace qui gronde.