Sprints
Letter to Self
Sorti le 5 janvier
Label City Slang
Genre rock / punk
Après les traditionnelles compilations de Noël et les classiques de la Saint-Sylvestre, invitant aux déhanchements hasardeux (parfois, pour les moins chanceux d’entre nous, sur La Chenille ou La Danse des canards), il était temps de passer à des choses moins pénibles et de lancer 2024 sous de meilleurs auspices musicaux.
Premier sur la ligne de départ, alors que beaucoup somnolent encore, le bien nommé Sprints qui, après les excès de gras, de sucre et d’alcool, propose une remise en forme (pour le corps et l’esprit) à travers une recette toute personnelle : des guitares mordantes et une voix rageuse, le tout sur un rythme appuyé. Autant dire que son premier album arrive à point, même si la ponctualité n’a pas toujours été le point fort du quatuor.
En effet, après ses premières démonstrations sur scène en 2019, portées aux nues par la presse anglo-saxonne, le groupe de Dublin a levé le pied comme pour mieux préparer cette tonitruante entrée en matière. Pour les plus impatients, il y a quand même eu deux EP à se mettre sous la dent : Manifesto (2021) et A Modern Job (2022).
De quoi déjà se faire une idée claire de leur côté abrasif, et surtout allonger l’inventaire de toutes ces formations irlandaises énervées, qui joue de créativité pour expulser la noirceur qui leur colle à l’âme (Fontaines D.C., Gilla Band, Girls Names, The Murder Capital). Sprints, dans l’esprit et le ton, se cale bien sur ses prédécesseurs. Dans la forme, par contre, il se montre moins post-punk que ses aînés.
C’est ce qui ressort à l’écoute des onze titres de ce premier long format qui, à quelques occasions, n’a pas peur d’aller vers un rock «mainstream», voire de se nimber d’ambiances plus sombres. Il faut dire qu’après trois ans de fignolages, Sprints y a mis toutes les références qui le caractérisent.
En premier lieu, Savages, le groupe de Jehnny Beth (animatrice d’Echoes sur ARTE), pas le plus réputé en termes de déflagration sonore, contrairement à Idles, un autre modèle. Ensuite, toute une flopée de sommités qui traversent trois décennies : pêle-mêle, Pixies, Bauhaus, Hole, LCD Soundsystem et Siouxsie and the Banshees. Une palette qui, toutefois, vise un même objectif, résumé dans un leitmotiv qui en dit long : «Transformer la douleur en vérité, la passion en but et la persévérance en force».
Un credo que Karla Chubb, chanteuse-guitariste (et compositrice), s’est fait sien, étalant sur près de quarante minutes sa vulnérabilité et la manière de la dépasser. «Peu importe où vous êtes né et ce que vous avez vécu, il y a un moyen d’en sortir et d’être heureux», écrit-elle sur Bandcamp.
Comme son nom l’indique, Letter to Self est un album autobiographique dans lequel la frontwoman expose ses tourments intérieurs, pour mieux les partager et toucher ainsi à l’universel. Ce qu’elle fait quand elle évoque la toxicité masculine et religieuse, la sexualité, la santé mentale et les quêtes identitaires. Exorciser la douleur et la culpabilité pour mieux se sentir «en vie» (objet de son interrogation sur le premier morceau), voilà une noble intention, brutalement honnête, dira-t-on.
Enregistré dans le Maine-et-Loire par Daniel Fox (bassiste lui aussi irlandais, à qui l’on doit la dernière bombe de Psychotic Monks), l’objet ne cache jamais ses louables ambitions, alternant sur ses morceaux oppression et défoulement, ombre et lumière, énergie négative et paix intérieure, pour, au bout, célébrer une liberté qu’il faut aller chercher, souvent avec les tripes.
À l’heure entendue des bonnes résolutions et des remises en question (qui se fanent vite), Sprints livre un message qui tombe à propos. Mieux, avec Letter to Self, il prouve que l’on peut entamer l’année très tôt, avec de sérieuses propositions. Devant cette anomalie, les autres sont prévenus. À eux, maintenant, d’entrer dans la course et, surtout, de garder la cadence.