Sa musique caresse les oreilles, comme une vague effleurant une plage de sable blanc… Cette semaine, Drama de Rodrigo Amarante sorti le 16 juillet sur le label Polyvinyl Records.
Rodrigo Amarante est un citoyen du monde, qu’il sonde sans vouloir le dominer, restant tranquillement dans l’ombre, sage observateur qui contemple et parle des siens avec le retrait du philosophe. Une posture qui renvoie dans les cordes toute idée de succès, de mythe aussi, notamment celui du songwriter mélancolique et du guitariste génial. L’homme, aujourd’hui 44 ans, n’a jamais figuré en haut de l’affiche. En tout cas, jamais seul, même quand il inscrit son nom au générique de la série à succès Narcos, dont il a signé la chanson (Tuyo).
Pourtant, le musicien mériterait meilleure fortune. À une époque pas si lointaine, il remplissait les stades au Brésil avec ses potes barbus de Los Hermanos, passés au statut d’icône en quatre disques. Notons également qu’on l’a croisé aux côtés de Gilberto Gil, Tom Zé et Gal Costa, légendes locales du «tropicalisme» (mouvement d’avant-garde de la fin des années 60). On lui doit aussi des collaborations remarquées avec Moreno Veloso, le fils de Caetano (Orchestra Imperial) ou avec Fabrizio Moretti des Strokes (le projet éphémère mais de qualité Little Joy).
Lui qui, né à Rio de Janeiro, a grandi dans une école de samba n’a en effet jamais caché ses envies d’explorer davantage la pop et le rock anglo-saxon. Ce qui va le rapprocher aussi du néo-hippie Devendra Banhart et d’Adam Green et le conduira à poser plus tard ses valises en Californie. Depuis 2013, Rodrigo Amarante navigue seul : avec son premier album Cavalo, il mêlait ainsi l’héritage de ses compatriotes à des touches de guitares électriques, de cuivres ou de notes synthétiques. Un exil enchanté qu’il reconduit ici, sur un second disque tout aussi envoûtant.
D’abord, il ne faut pas s’effrayer du titre, Drama. Une appellation en référence, dit-il, à deux évènements de sa jeunesse : une maladie qui l’aura longtemps marqué et la coupure traumatique de ses longs cheveux d’adolescent par son père qui voulait ainsi le préparer à l’âge adulte… De ces «traumatismes» d’une autre époque résultent onze chansons ensoleillées et au charme poétique, détournement folk de la saudade (sentiment mélancolique, teinté de rêverie, proche du fado portugais), garni d’élégants arrangements.
Partir en voyage avec le suave et bilingue Rodrigo Amarante, c’est d’abord plonger avec délicatesse dans les méandres de l’âme. Car ici, il est question de «la fin d’un amour et du début d’un autre qui s’esquisse dans des rêves ou sur une piste de danse», précise le musicien. Une invitation en Technicolor qui, en musique, fusionne tout un ensemble de sons : bossa-nova, samba, jazz «à la cool», rock, folk… Mieux, la proposition, qui alterne les humeurs, tantôt intime, tantôt orchestrale, ne se veut pas une démonstration sophistiquée, mais quelque chose qui caresse les oreilles, comme une vague effleurant une plage de sable blanc.
Comme avec le précédent Cavalo, dont les mélodies, pour beaucoup, croquent encore la tête et le cœur, Drama est une nouvelle pépite, baignée d’un soleil généreux. Une œuvre apaisante qui, passé son introduction théâtrale, ses éclats de rire et ses applaudissements, baigne tout en douceur dans l’exotisme. Un objet délicat, à la fausse nonchalance et aux reflets dorés, qui s’écoule sans retenu. Sur les routes des vacances ou à domicile, cette petite merveille estivale se laissera apprécier en toute circonstance.
Grégory Cimatti