L’album de cette semaine, Diaspora Problems de Soul Glo est sorti le 25 mars sur Label Epitaph Records.
Depuis quelque temps maintenant, le hardcore fait comme tous les autres genres : il mute, se montre plus perméable aux traditions et, par prolongement, plus réceptif à ce qui se fait musicalement autour de lui. Tout récemment, l’exemple le plus «frappant» a été l’œuvre de Turnstile avec Glow On (2021), nappé de synthétiseurs et pas trop regardant quand il s’agit de se tourner vers la pop. Dans un autre registre, bien plus démonstratif celui-là, Soul Glo apporte lui aussi sa pierre à cet édifice en construction, et de quelle manière ! Diaspora Problems pourrait s’écouter au cœur d’une machine à laver en mode essorage que l’effet serait le même : on en sort lessivé et décrassé par autant de puissance et d’inventivité.
Jusque-là, le quatuor de Philadelphie avait déjà assené quelques coups de poing à l’estomac, en petit format (dont l’excellent Songs to Yeet at The Sun en 2020) ou en grand, notamment The Nigga in Me is Me (2019). Des disques rentre-dedans, menés comme il se doit au pas de charge, ramassés sur dix-vingt minutes pas plus – seul Untitled LP (2016) fait figure d’exception, dépassant la demi-heure… avec ses vingt chansons ! Mais s’arrêter à cette frénésie, cette force, serait réduire l’importance de Soul Glo et de Diaspora Problems. Oui, on a affaire à un grand album, époustouflant dans tous les sens du terme, et qui, sûr de ses moyens, s’appuie pour la première fois sur un label aux épaules larges : Epitaph Records.
À son écoute, plusieurs choses marquent l’oreille. Particulièrement deux : d’abord cette urgence de tous les instants, caractérisée par un enchaînement de douze chansons sans interlude ni pause (ou rares alors, comme sur Spiritual Level Of Gang en mode fusion des années 90). Une ardeur qui colle à la perfection à la voix du tonitruant Pierce Jordan. Parlons même ici de performance, avec ces parties ultrarapides, enragées, bouillantes où, à chaque moment, on se demande quand ses cordes vocales vont lâcher… Ensuite, une palette qui part dans tous les sens, dans laquelle se mélangent (sans fausse note) le noise, le punk et le rap, avec un penchant pour les années 80 (Bad Brains, Dead Kennedys…).
Il y aurait beaucoup à dire sur ces emprunts, sur cette capacité à associer naturellement les guitares rugissantes et l’électronique tapageuse, à mixer les échantillons les plus divers, à oser embellir le tout avec l’apport d’une section de cuivres. À convier dans la ronde, enfin, une demi-douzaine de rappeurs et chanteurs – avec une place de choix donnée aux femmes (DJ BEARCAT, Kathryn Edwards, Mother Maryrose, Zula Wildheart). C’est un fait : Diaspora Problems s’impose comme un objet à part dans la longue et riche histoire du hardcore. Une singularité qui s’inscrit d’ailleurs dans l’ADN même du groupe.
Soul Glo est en effet formé par trois Afro-Américains qui, depuis 2014, en ont long à raconter sur l’état de leur communauté au cœur d’une Amérique rongée par un libéralisme aveugle et un racisme institutionnel. «Can I live ?», répète ainsi le frontman sur la chanson d’ouverture dans une rage plus pure, plus émotionnelle que les traditionnelles attaques punk contre le vide politique et ses représentants. Diaspora Problems, c’est le son d’une communauté (noire ou autres, marginalisées) dans un milieu hardcore depuis longtemps aux mains de musiciens blancs.
Par conséquence, le disque se veut à la fois une expérience viscérale et cérébrale, celle d’un groupe bien décidé à prendre les choses en main après de longues années à parler dans le vide et à attendre des solutions. La réponse est en tout cas convaincante. Si Pierce Jordan, dans un réflexe, se demande «qui va lui botter le cul» («Who gon’ beat my ass»), c’est à lui et sa bande de distribuer aujourd’hui les coups de pied. Preuve rassurante que les choses peuvent changer.