Cette semaine, Fresia Magdalena de Sofia Kourtesis, sorti le 19 mars sur le label Technicolour.
Mais qui est donc cette figure qui s’incruste, en image, sur les trois EPs de Sofia Kourtesis, pourtant habile pour brouiller les pistes avec son électronique sinueuse? On la voit en effet sortir d’épaisses couches de peinture sur son premier disque éponyme en 2019, tutoyer les nuages sur le suivant (Sarita Colonia, 2020) et s’imposer au milieu d’un collage de plantes et de plaques commémoratives sur cette dernière offrande, Fresia Magdalena.
Pour le découvrir, il faut arpenter les travées du cimetière Baquijano del Callao, situé dans l’une des plus grandes favelas de Lima, au Pérou, protégé de toutes ses couleurs par la «patronne des pauvres» : Sarita Colonia. C’est cette sainte locale que l’artiste célèbre sur chacun de ses albums, elle qui n’a jamais perdu de vue ses origines même quand elle fait danser les corps au cœur des nuits moites berlinoises, sa ville d’adoption.
À sa façon, elle porte aujourd’hui le flambeau laissé par cette dévote du début du XXe siècle, morte à 26 ans puis jetée dans une fosse commune. Son âme charitable n’a jamais été admise comme telle par l’église catholique. Apparemment, Dieu ne reconnaît pas toujours les siens, surtout quand ceux-ci ne sont pas bien nés. Des miséreux et exclus dont la militante Sofia Kourtesis se propose, en toute humilité, de devenir le porte-voix.
Une révolution espérée qui se veut collective, comme elle l’affirmait récemment : «La vie n’a jamais une fin heureuse, mais l’espoir demeure si on agit en communauté», avant d’ajouter : «Si je ne crois pas en l’humain, à quoi puis-je croire d’autre ?» Une conviction qui ne tient pas à l’unique effigie sacrée, mais également à son éducation et ses parents. D’un côté, sa mère, Fresia (prénom que l’on retrouve sur le titre de l’album), elle aussi au service des siens. De l’autre, son père, présent ici par l’esprit car décédé d’une leucémie. Le premier des cinq titres réunis sur cet EP (La Perla) honore d’ailleurs, avec beauté, sa mémoire, celle d’un homme qui aimait contempler la mer et ses vagues rebelles.
Mais avec Sofia Kourtesis, on est loin de la métaphore poétique. Pour façonner ses chansons, la musicienne s’appuie en effet sur l’humeur de son quartier, Magdalena, là où elle a grandi et où habite toujours sa famille. Des enregistrements (dont celui de sa propre voix) qui se nichent discrètement au cœur de morceaux addictifs taillés pour les clubs. De multiples échantillons sonores (tirés d’éléments naturels) qui, comme elle l’avoue, servent de base à ses compositions, et non de remplissage : «Je vois mes chansons comme un collage. Je mets tous les samples au premier plan et crée la musique autour d’eux.»
Le résultat ? Des productions au rythme fortement imprégné de house (d’où sa présence chez Technicolour, sous-label de Ninja Tune, adepte du genre) mais aux couleurs multiples, affirmant une foi pour les ondulations synthétiques «à la cool», pas si festives que ça mais au confort bienvenu. Ici, en effet, on vibre et on danse sans abus. C’est chaleureux, bien pensé, maîtrisé, et surtout honnête. Sur Fresia Magdalena, la vulnérabilité de son auteure est même touchante, accompagnée par une certaine nostalgie et des esprits bienveillants. Une performance qui n’a rien d’un miracle. Oui, on croit à Sofia Kourtesis !
Grégory Cimatti