Cette semaine, Le Quotidien prête une oreille attentive à Believer, de Smerz.
Oser accompagner Henriette Motzfeldt et Catharina Stoltenberg dans leurs troublantes rêveries, c’est accepter de perdre ses repères, d’oublier ses acquis, d’avancer à l’aveuglette. Déjà, deux EP – It’s Ok (2017) et Have Fun (2018) – affichaient la propension de ces deux amies à dynamiter les cadres et codes, avec une musique qui n’en fait qu’à sa tête. Avec elles, la pop, le hip-hop, l’électronique et le R’nB se lovent en effet dans d’inquiétantes circonvolutions, pour un grand tout casse-gueule, pas assez électronique pour danser et pas assez pop pour chanter.
Un art de la fugue et de la digression qui prend une tournure encore plus folle avec Believer, premier long format de ces deux Norvégiennes installées à Copenhague depuis 2011. Des origines nordiques qui les rapprochent vite de la célèbre mutante Björk, amatrice elle aussi du contrepied et de l’avancée labyrinthique. Mais Smerz, par sa forme étrange, pourrait être également un cousin éloigné d’Yves Tumor, CocoRosie, Shygirl ou de FKA Twigs, sans omettre Arca, avec qui elles partagent le même label (XL Recordings).
De l’expérimentation tous azimuts qui s’articule autour de seize pièces habitées d’une étrange atmosphère. À l’écran, deux d’entre elles s’unissent pour ne former qu’un titre, plutôt parlant pour comprendre de quoi on parle et, surtout, où l’on met les pieds : I Don’t Talk about that Much dévoile ainsi une troupe de danseurs folkloriques s’agitant sur une transe synthétique taillée pour le clubbing. Suit alors, sans transition, Hva hvis qui, dans un plan fixe et une douceur orchestrale, montre la beauté d’un paysage sauvage, difficile à dompter. Une métaphore que Smerz a fait sienne.
On est un peu comme devant la pomme au jardin d’Éden : c’est à la fois tentant et rebutant
Believer s’articule autour de deux axes : d’un côté, des traditions nordiques tournées vers l’orchestre de chambre et l’opéra, les instruments qui vont avec (harpe, violon, piano), sans oublier un chant éthéré qui rappelle de vieux souvenirs de chorale. De l’autre, dans un refus affiché de l’orthodoxie, Henriette Motzfeldt et Catharina Stoltenberg continuent de sabrer la pop et le R’nB, les entraînant sur un terrain chaotique fait de musique contemporaine et d’électronique spatiale.
On est un peu comme devant la pomme au jardin d’Éden : c’est à la fois tentant et rebutant. À la chaleur d’une instrumentation à cordes tout en finesse, Smerz répond en effet par la froideur de multiples couches de synthétiseurs. Believer ne ment pas sur ses intentions, comme le prouve cette ouverture avec ces doux carillons tintant pendant près d’une minute, avant de laisser la place à une basse sinistre, un orgue au souffle poussif, des cordes pleureuses, des voix inquiétantes… Qui finalement s’unissent et disparaissent derrière un gros beat hip-hop.
Loin de tout classicisme, le duo pousse l’exploration électronique vers de nouvelles contrées. Certains, en raison d’un aspect trop composite, verront dans ce Believer un disque qui manque de fluidité. Pour d’autres, l’incarnation est convaincante, soulignée par des interludes minimalistes et des clips perchés. Oui, Smerz aime la mise en scène, surréaliste et coincée entre deux époques. Et c’est pourquoi leurs histoires imagées laissent une étrange sensation. A-t-on rêvé ou non? Comme le titre le suggère, l’important, c’est d’y croire.
Grégory Cimatti
Believer, de Smerz.