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[Album de la semaine ] «Self Titled» de Kae Tempest : émois et moi


(Photo Island Record)

Cinquième album de Kae Tempest, Self Titled affirme la longue évolution de l’artiste et aboutit à une mise à nu sans filtre.

Que de chemin parcouru depuis 2014, année où l’on découvrait au festival «Food for your Senses», sous un chapiteau en feu, un petit bout de femme incandescent au flow et aux mots taillés dans le bitume, ressuscitant l’esprit de Gil Scott-Heron, pionnier du «spoken word». Depuis, ses écrits (poésie, roman, théâtre), comme ses albums, enracinés dans la réalité morose d’un libéralisme aveugle et dévastateur, sont tous célébrés, primés à la Biennale de Venise ou mis à l’honneur au festival d’Avignon.

Alors qu’il y est aussi question d’identités mises sous l’éteignoir, suffocantes, elle en a profité pour affirmer la sienne : en optant pour la non-binarité, Tempest a décidé de n’être plus Kate mais Kae, prémices de sa transition de genre pour devenir un homme entamée cette année. Désormais, il faut donc dire il, et non plus elle. Mais si son prénom a perdu au passage une lettre, sa voix, elle, demeure intacte.

«Je ne devais plus me cacher»

On la redécouvre sur son nouvel album, le cinquième, au titre qui ne laisse pas de place au doute : Self Titled est une affirmation de sa longue évolution, un cri du cœur conjugué à la première personne né d’une rencontre avec un producteur, Fraser T. Smith, connu pour ses collaborations avec Adele, Dave ou Stormzy. Après s’être fait les dents avec deux autres esthètes de l’enregistrement (Dan Carey et Rick Rubin), à ses côtés, Kae Tempest lâche prise, en raison d’une simple question qui lui aurait été adressée : «Qui d’autre que toi peut raconter ton histoire ?», se souvient-il sur le site de NME.

En résulte un «séisme créatif» qui va prendre corps à travers des sessions spontanées ultraproductives. Au bout, un disque qui s’impose tel qu’il est : un portrait direct, une mise à nu sans filtre. «Je ne devais plus me cacher. Ça m’a complètement libéré», confie l’artiste, âgé de 39 ans.

Parmi les douze titres de Self Titled, deux en particulier s’imposent comme des symboles de cette vie à vouloir changer de peau, traits d’union entre le passé et le présent. D’abord Breath, où Kae Tempest, dans une longue tirade de dix minutes à en perdre le souffle, semble se libérer de ses démons. Ensuite Know Yourself et son clip réalisé… chez le coiffeur. Comme sur la pochette, la coupe, nuque à la fraîche, n’est qu’un prétexte pour raconter une transformation, surtout quand, au-dessus de la glace, une télévision montre son ancien lui, joues roses et cheveux longs. «Vingt ans plongé dans les rimes et les rythmes / Et je suis encore loin de trouver la paix», chante-t-il, même s’il avoue «se connaître enfin». Un message d’acceptation reçu par les autres clients du salon, opérant alors une chorégraphie rédemptrice.

 Être connecté à son vrai moi est incroyablement beau

Car oui, Kae Tempest n’est pas du genre à avoir les yeux rivés sur son nombril. Et même si ces albums, les uns après les autres, suivent les étapes de ce qui ressemble à une quête identitaire – la colère sur Everybody Down (2014), la frustration sur Let Them Eat Chaos (2016), l’autocritique sur The Book of Traps and Lessons (2019) et la résilience sur The Line is a Curve (2022) –, il y a toujours de la place pour les autres, comme il le confie encore sur NME : «Si je m’exprime de manière honnête et sans compromis, les autres se sentiront peut-être plus libres d’exprimer ce qu’ils ressentent».

Il serait aussi réducteur de penser que l’on est seul(e) au monde et ses textes n’oublient pas l’état de la société, toujours prompts à mixer les sentiments avec des constats plus globaux sur la politique ou, plus terre à terre, le quotidien et ses misères ordinaires.

Mélodies joueuses et variées

Oui, Kae Tempest va mieux, mais il reste vigilant. Mieux, il partage son enthousiasme avec des invités de haute facture : Neil Tennant (Pet Shop Boys), Tom Rowlands (The Chemical Brothers) et le groupe Young Fathers. Ce qui donne à ce Self Titled un accent typiquement anglais, mélange réussi, et jamais ennuyeux, de grime à la sauce britannique et de pop synthétique. Tout comme lui, sa musique paraît revivifiée, sans perdre cette intensité viscérale qui a toujours fait sa force, mais sans trop en jouer comme ce fut le cas parfois.

Alors, sur des mélodies joueuses et variées, on écoute cette «lettre d’amour» que Kae Tempest adresse aux autres et à lui-même. «Je suis en vie», dit-il sur le morceau Stand on the Line, avant de conclure, définitif, sur NME : «Être trans, ce n’est pas difficile. Ce qui l’est, c’est de se cacher, de vivre dans le déni… Être connecté à son vrai moi est incroyablement beau».

Kae Tempest, Self Titled. Sorti le 4 juillet. Label Island Records. Genre rap

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