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[Album de la semaine] Roc Marciano et The Alchemist : deux poids, même mesure


(photo DR)

Cette semaine, Le Quotidien a choisi d’écouter le dernier album de Roc Marciano & The Alchemist, The Skeleton Key, sorti le 13 décembre sur le label ALC Records / Marci Enterprises.

On le sait, le tout début d’année offre rarement de grands albums. Mais les premiers jours de l’an ne font pas perdre les vieux réflexes, comme celui de retourner voir ce que l’effervescence des fêtes tout juste finies et l’avalanche des best of de l’année qui vient de s’écouler nous ont fait passer sous silence.

Le 13 décembre dernier devait être un jour à retenir dans la chronologie récente du rap américain, pour un album seulement : Missionary, ou les retrouvailles longtemps attendues des poids lourds Snoop Dogg et Dr. Dre. Un évènement en soi, pratiquement un cadeau de Noël en avance, mais du genre qui déçoit, en demi-teinte, trop propre sur lui, un peu poussif au final.

C’est vrai que, malgré tout, les patrons de la «West Coast» sont toujours en place, et qu’à Los Angeles, il y a de toute façon du monde sur qui compter. Mais bien peu sont aussi omniprésents et ponctuels que The Alchemist, sorcier du «beat» qui possède deux particularités : l’infatigable vétéran à casquette, qui a vu le jour il y a 47 ans, est originaire du «suburb» huppé de Beverly Hills, et s’impose depuis trois décennies comme le plus «East Coast» des producteurs californiens.

Il y a de quoi se perdre dans sa discographie : entre mixtapes, albums instrumentaux, EP, compilations et projets collaboratifs, il n’y a rien à jeter dans les dizaines de sorties rien que ces cinq dernières années.

Avec quelques chefs-d’œuvre, dont Faith Is a Rock (avec Mike et Wiki, 2023), retour génial aux sources new-yorkaises du hip-hop, ou Alfredo (2020), master class qu’il porte derrière un Freddie Gibbs lui aussi au sommet de son talent. Il y a encore ses inimitables instrus pour Action Bronson ou, en 2022, son premier album en collaboration avec une autre figure influente du rap underground à New York, le rappeur et producteur Roc Marciano.

Après plusieurs collaborations ponctuelles étalées sur de longues années, The Elephant Man’s Bones officialisait ainsi une amitié qui dure depuis longtemps. En célébrant, donc, l’«alchimie» entre les boucles douces et hypnotiques du producteur inspiré notamment par le jazz et la soul, et la violence contenue dans la diction relaxée de Marciano.

Ça sent la menace, la poisse et les calibres fumants

Car si ce dernier est surnommé le «parrain de l’underground», ce n’est pas seulement pour l’influence qu’il a depuis de longues années, aujourd’hui encore sur des artistes comme Earl Sweatshirt, Che Noir ou – encore lui – Action Bronson. Roc Marciano porte ses références mafieuses jusque dans le nom et le surnom – donc, forcément, dans ses «lyrics».

Il se trouve que le rappeur new-yorkais, si sa voix sonne moins menaçante qu’à l’accoutumée, comme sur son récent (et très bon) Marciology (2024), se révèle ici plus sombre que jamais. Entre ses refrains pleins de fusillades et ses couplets riches en équilibre entre rimes élastiques et références obscures au monde du crime organisé ou à la NBA, il rappelle qu’il «vient d’une autre école de pensée».

Peu de métaphores, mais des images fortes, terriblement violentes et réelles. De concert avec lui, The Alchemist pointe constamment vers l’inconfort, penche vers la musique de film d’horreur à partir de sifflements de bols tibétains (Chopstick) ou d’un sample soul collé à un genre de thérémine (Cryotherapy). Même les éblouissants accents soul de Rauf et les violons de Make Sure n’ont pas l’air moins dangereux.

En résumé, ça sent la menace, la poisse et les calibres fumants dans l’univers musical de Roc Marciano et The Alchemist. Leur deuxième album commun, imprévisible à tous points de vue (il est sorti sans promotion), explore de nouveaux terrains. À ce titre, c’est sa radicalité assumée qui fait de The Skeleton Key un album à retenir, bien plus que la grande majorité des collaborations-évènements de grands noms du rap qui inondent les plateformes.

Roc Marciano le résume bien en introduction du disque : Mystery God ouvre ce nouveau chapitre comme une triste parodie des sons soyeux du premier album, interpellant déjà ceux qui «mettent plus d’idées dans un post que dans leur propre musique». Toutes les vérités ne sont pas bonnes à entendre, eux les disent, et y répondent avec du grand art.