Depuis qu’elle a quitté Crystal Castles en 2014, Alice Glass a su ménager ses manifestations. Son départ du duo, incontestablement l’un des plus révolutionnaires dans le domaine de la musique électronique, laissait les fans se languir de la découverte de son travail en solo, alors qu’elle restait évasive quant aux raisons de sa décision. Mais chacune de ses apparitions successives arrivera comme un coup de poing dans le ventre, depuis son premier single, l’explosif Stillbirth (2015), jusqu’à Prey//IV, son premier album pour le moins attendu.
Il est impossible d’aborder ce dernier sans remonter à l’été 2017, lorsque la musicienne et chanteuse canadienne a débarqué avec un EP portant son nom, dans lequel elle impose un style bien différent de ce que l’on connaissait d’elle à travers Crystal Castles. Un EP qui semble arriver comme un accouchement, dans la douleur, où Alice Glass se pose en savant fou, croisant dans ses expériences la pop électronique avec la musique industrielle. Le sel de Crystal Castles, c’était sa voix distordue, enfouie sous des tonnes d’effets bizarres qui étaient la signature du duo, autant qu’ils gardaient la chanteuse dans un certain anonymat. Avec son premier EP, Alice Glass a repris le contrôle de sa voix, l’une de ses plus belles victoires. Mais pas la dernière…
Quelques semaines plus tard, elle explique enfin son départ du groupe, accusant son binôme et compagnon de l’époque, Ethan Kath, d’avoir abusé d’elle physiquement, sexuellement et mentalement depuis l’âge de 15 ans. Privée de carte de crédit, d’interactions sociales et fliquée en permanence, Alice Glass a traversé un long chemin de croix avant de s’en libérer. Avec Prey//IV, elle revient sur la période la plus noire de sa vie, en renversant les rôles et en reprenant le dessus. Le titre même de l’album reprend la numérotation en chiffres romains de la trilogie de Crystal Castles; ce premier album solo n’est pas une rupture, mais la continuité d’un travail dans lequel c’est elle qui s’impose désormais. «Vois le chasseur devenir la proie», scande-t-elle sur The Hunted.
En treize titres plutôt courts (à une exception près, les morceaux vont d’une à trois minutes), Alice Glass et son producteur, Jupiter Keyes – ancien du groupe noise Health, qui s’était fait connaître avec un remix de… Crystal Castles (Crimewave) –, jouent sur le double tableau d’une musique dansante mais définitivement sombre, tel un uppercut visant à décrocher la mâchoire, et des paroles ciselées pour des hymnes où la souffrance compte autant que la guérison. Ici, tout fait sens, qu’il s’agisse des effets dans la voix (quand la voix claire d’Alice Glass devient hurlante ou lorsqu’elle pose une distorsion sur un mot seulement) ou de la balance entre une douceur terrifiante – dans Everybody Else, une mélodie au piano sortie d’un film d’horreur guide sa voix de poupée dans une réinterprétation glaçante de son syndrome de Stockholm – et une colère noire (Suffer and Swallow), jusqu’au déchirant I Trusted You, qui clôt l’album en apothéose.
Chez Alice Glass, la violence et l’amour sont intimement liés
Prey//IV, fidèle au fil rouge contenu dans le titre, se réinvente à chaque nouveau morceau, mais place toujours au centre la violence et l’amour, toujours intimement liés (Love Is Violence, nous dit l’un des titres), dont Alice Glass a été victime. Malgré l’influence énorme qu’a eue son ancien groupe, sa façon d’appréhender ses compositions avec une patte pop renvoie plutôt à Zola Jesus, Billie Eilish ou Ela Minus. Et l’on replongera dans ce très grand disque pour sa qualité ou juste pour entendre l’artiste s’imaginer dans la peau de l’agresseur, copiant dans les paroles de Fair Game des phrases assénées à son encontre par Ethan Kath. Ce n’est peut-être pas la plus efficace des vengeances, mais c’est sans doute la plus belle.
Alice Glass – Prey//IV
Sorti le 16 février
Label Eating Glass Records
Genre electro