Avec Every Bad, Porridge Radio sort un superbe disque qui se construit dans l’équilibre bancal, l’incertitude du moment et les vérités plurielles.
Début mai, en Belgique, les fameuses Nuits Botanique proposaient une affiche du tonnerre, en tout cas pour ceux qui suivent de près le post-punk et ses multiples – et enthousiasmantes – ramifications contemporaines. Imaginez tout de même, réunis sur la même scène : Protomartyr, qui ferait presque, aujourd’hui, figure de vieux devant la puissance de feu de Black Midi et l’audace dérangée de Black Country, New Road. Pour accompagner le trio et ficeler gentiment le tout, le festival sortait de son chapeau le nom de Porridge Radio, jeune groupe (sur le papier, car il a déjà quelques années d’expérience à faire valoir) qui semblait être un candidat secondaire, comme portant un costume trop grand pour lui.
Belle erreur d’appréciation, comme celle de croire désormais que le prometteur rendez-vous se tienne un jour, alors que le monde entier se cloître devant la menace du Covid-19. Rappelons tout de même que jusque-là, pour excuser au passage ce jugement hâtif, le groupe de Brighton s’était uniquement fendu d’un premier album assez léger, Rice, Pasta and Other Fillers (2016), enregistré dans le cabanon du batteur, portant justement en lui les caractéristiques de l’endroit : étriqué, sombre et modeste, comme si l’étroitesse du lieu l’empêchait de s’exprimer à pleins poumons.
Somme toute honnête, certes, mais le résultat n’allait pas au-delà du journal intime étiqueté, comme beaucoup d’autres, «indie-pop-rock-alternatif». Mais quatre ans plus tard, la donne n’est plus la même, et cet Every Bad marque au fer rouge le bond en avant de la bande à Dana Margolin qui, comme toute meneuse qui se respecte, montre l’exemple.
Sa partition est en effet bluffante, sur onze chansons qu’elle habille de toute sa personnalité. C’est vrai, il faut le reconnaître, elle est soutenue par un habile collectif – la bassiste Maddie Ryall, Georgie Stott aux claviers et Sam Yardley (seul mâle du combo) à la batterie – qui apparemment aime se perdre dans les années 90, comme en témoigne leur propension à ramener à la vie certaines sonorités rock de cette époque.
Mais avec ce disque, écrit à la première personne, la chanteuse et guitariste s’impose magistralement. Il n’y a rien d’étonnant à ce que beaucoup évoquent une certaine PJ Harvey pour parler de cette nouvelle incarnation, ne serait-ce que par cette voix habitée, alternant douleur, ironie et agacements. Dès l’entame, Dana Margolin balance ainsi «what is going on with me ?» («qu’est-ce qui m’arrive ?»), et elle passe alors le reste du disque à creuser les réponses, sans toutefois chercher forcément à y apporter des réponses. Car c’est bien dans l’équilibre bancal, l’incertitude du moment et les vérités plurielles que se construit Every Bad.
Il faut donc avancer à pas mesuré au cœur d’une œuvre qui s’amuse des contradictions : ici, la gravité tutoie l’humour, l’appel à l’empathie se teinte de désespoir, la voix posée s’éteint face à l’explosion de cris, le murmure se veut tourment. Bref, frontal et fragile à la fois, le tout confiné dans une musique qui alterne coups faciles et morceaux de bravoure. Certains titres devraient même marquer de leur sceau l’année en cours (Sweet, Long, Lilac).
Et si d’incontournables références collent à la peau de Porridge Radio (de Pixies à Nirvana, sans oublier la récente vague féminine, comme Courtney Barnett ou, dans un registre plus «grunge», Starcrawler), le groupe sait s’en départir pour exister par lui-même, jouer de la guitare et chanter à sa façon… Bref, autant de bonnes raisons pour passer un peu de temps avec la formation britannique, dans son salon ou devant une scène. Bon, pour Bruxelles, comme l’annonce le site des Nuits Botanique, il faudra attendre octobre, et croiser un maximum de doigts. Heureusement, d’ici là, malgré le confinement, il reste la radio…
Grégory Cimatti
Every Bad, de Porridge Radio.