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[Album de la semaine] «Now! 2073» de Noir Disco : le futur, c’est maintenant !


La pochette est un clin d’œil aux portraits en série d’Andy Warhol. (photo DR)

Cette semaine : « Now! 2073 » de Noir Disco, sorti le 3 décembre sur le label Noir Disco.

Le quartier d’Echo Park, en plein centre de Los Angeles, est surtout connu pour les foules de fans de baseball qui se pressent, le dimanche, aux portes du Dodger Stadium, mais il a vécu mille vies. C’est là que furent construits les premiers studios de cinéma à l’heure du muet, avant d’être, lors des décennies suivantes, un vivier d’artistes et d’intellectuels de gauche. Logiquement, Echo Park est devenu un haut lieu de la contre-culture et de la communauté hippie à la fin des années 1960 et à l’aube des années 1970. Dix ans plus tard et jusqu’à la crise de 2008, de nombreux gangs se sont adjugé le contrôle du quartier. C’est à Echo Park que sont nés Leonardo DiCaprio et Shia LaBeouf; là aussi qu’est mort Elliott Smith; là, encore, qu’ont vécu Steve McQueen ou Frank Zappa. Aujourd’hui largement gentrifié, Echo Park est passé des hippies aux «hipsters», mais n’a rien perdu de sa mystique culturelle. Éternel épicentre artistique dont la force continue de se transmettre, c’est à Echo Park que vivent les frères Nolan et Carter Dickson, qui forment, avec leur ami Henry Miller, le trio excentrique Noir Disco, qui vient de sortir son premier album : une œuvre libre, pur produit de la ville de tous les possibles.

 

Il ne faut pas se laisser avoir par les atours psychédéliques ni par les voix qui flottent dans l’éther du premier titre, workCHANGEchangeWORK : le propre de Noir Disco est de surprendre à chaque instant, d’aller chercher la cohérence dans un désordre effervescent. Dès le titre suivant, 21st Century Hipster Man, le groupe éteint la flamme du psychédélisme à l’aide de joyeuses mélodies sur de gros synthétiseurs superposés et confectionne une petite bombe pop aux accents «electronica». Avant que, sur Television, les mêmes synthés s’emploient à délivrer une sombre ligne de basse en lorgnant le post-punk des années 1980, quand – toujours dans l’idée d’opposer les éléments – les paroles sont chantées d’une voie aiguë. Et ainsi de suite…

Now! 2073 propose d’entrevoir un futur étrange à partir des absurdités du monde d’aujourd’hui : l’addiction aux écrans (Television), la malbouffe (Heart Pressure), la toute-puissance du paraître (Los Angeles)… À travers des textes souvent drôles, Noir Disco ne trace cependant pas de frontière entre l’humour et la désolation. Son écriture est ce qu’elle est : réaliste, certes, avisée, sans doute, mais elle n’est finalement que l’un des deux éléments de leur art. L’autre – la composition – se doit donc de contrebalancer tout cela, et de la manière la plus exubérante possible. Les compères de Noir Disco ne laissent jamais deviner s’ils sont adeptes du «lo-fi» ou savants fous perfectionnistes; s’ils improvisent plus souvent sur leurs embardées psychédéliques (Motivation, Taking Off, Getting Old…) que sur les formats pop (2073, Take Me (Back)…); s’ils sont un groupe de rock psychédélique ou un trio touche-à-tout. Alors on embrasse leur volonté de laisser l’auditeur dans le gris, simplement pour embarquer à bord de leur grand cirque sonore. Attention : le voyage est turbulent.

Valentin Maniglia